Notre voyage  2019-2020 en Amérique du Sud, pour voir la carte

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Il n’y a pas, il n’y a plus à hésiter.

Un migrateur gîte en nous, il faut le dédouaner.

 

Jacques Lacarrière

 

 

 

 

Daniel a bien eu envie de partir avec une autre monture, mais il a eu peur que son Chamolent lui blatère des choses peu agréables.

Regardez bien le dérailleur de ce vélo qui date du début du XXème. Le dérailleur est un peu spécial. Quand cela devient trop dur en côte, il suffit de pédaler en arrière pour changer de pignon.  D’autre part des cordes tendues au garde boue arrière empêchaient la robe de la cycliste de se prendre dans les rayons.

 

Toulouse est une des rares villes de France, sinon la seule, que l’on peut traverser en tous sens sans quitter le réseau de pistes cyclables, y compris jusqu’à l’aéroport. Démonter et emballer les vélos – deux heures pour chacun – dans le hall de l’aéroport, avec interruption tout de même et évacuation des lieux pour cause de colis abandonné. Arrivés à l’aéroport à 11 h nous avons tout juste fini d’empaqueter nos affaires à 16 h pour nous pointer à l’enregistrement la boule au ventre. Nos vélos sont trop longs de 15 cm. Nous nous souvenons de l’enregistrement à Taiwan au comptoir de la Tiger Air. Nos paquets avaient été mesurés, refusés, puis enfin acceptés à condition d’être réemballés. Mais cette fois-ci tout se passe le plus simplement du monde. Ni mesure ni pesage. Les voilà partis avec les hors gabarits. Nous sommes claqués.

C’était le 16 novembre.

Petite remarque sur les aéroports. A Toulouse, pour avoir un caddy il faut mettre 1 €, pour peser ses bagages, c’est encore 1 € et les hôtesses font les annonces à une telle vitesse que l’on ne comprend absolument rien, que ce soit en Français ou en Anglais. A Lisbonne où nous avons fait escale, le pesage est gratuit et les annonces au micro sont faites à voix posée, afin que tout le monde comprenne, ce qui semble la moindre des choses.

 

A Porto Alegre  nous trouvons un taxi tout de suite et une heure après l’atterrissage nous sommes à l’hôtel. Pour le moment une seule chose nous préoccupe : dormir. Il est 1 h du matin en France, 21 h au Brésil.

Dimanche : le jour nous réveille à 5h du matin. C’est donc très tôt que nous sommes dans les rues et sur la promenade aménagée en front de lagon. La température est estivale et nous avons ressorti les shorts. 

Quelques sportifs du dimanche font leur footing ou leur tour de vélo sur l’avenue interdite aux voitures le week-end. C’est très tranquille. 

Nous retrouvons avec plaisir les jacarandas en fleurs, les flamboyants et autres arbres tropicaux, les cris des petits perroquets verts et surtout, surtout, le chant du merle tout heureux d’être au printemps. En fait la mi-novembre sous cette latitude correspond à notre mi-juin et la température atteint 30°. Autour de la cathédrale pas mal de SDF mais pas plus qu’à Toulouse. Dans le centre historique quelques vieilles bâtisses style art déco sont écrasées par les immeubles neufs et sans charme. 

Le dimanche c’est ville morte. Tout est fermé, ou presque. Car Décathlon est ouvert, ce qui me permettra de racheter le gilet oublié à Toulouse. Etonnés par les tarifs plus élevés qu’en France pour des articles rigoureusement semblables.

 

Dans l’après-midi nous retournons sur la promenade. L’ambiance a complètement changé. C’est noir de monde – façon de parler car en fait il y a très peu de gens de couleurs. Les Brésiliens viennent pique-niquer dans le parc, boire un verre, faire du vélo ou de la trottinette. C’est calme et bon enfant. Il fait chaud et nous prend l’envie d’une glace mais les stands ne proposent que beignets, pop-corn et pralines.

Diner dans un snack de poulet-œufs-riz-frites-haricots rouges-salade de pommes de terre et carottes. La « complete » d’après le serveur. Pas très léger mais copieux. Il nous arrivera par la suite de déjeuner dans des selfs avec un bon choix de plats variés pour un faible coût.

Plusieurs personnes nous avaient conseillé de prendre l’autoroute moins dangereuse que la petite route pour rejoindre la côte. « En semaine ce sera très tranquille ». Je n’ose imaginer la circulation le week-end parce qu’il y a déjà beaucoup trop de camions pour moi. Mais avant de nous retrouver sur cet axe tout droit et sans relief il nous a fallu traverser la ville : 15 km = 2 heures avec des raidillons dignes de San Francisco. A 9 h du matin nous sommes déjà en nage. Et puis nous avons pédalé, pédalé, sans jamais pouvoir nous arrêter faute d’un parking ou – ce que nous avions espéré – une aire de services. La région traversée est très marécageuse. Vu des rizières, un varan vivant et un écrasé, un ibis en vol. Au km 80 nous nous écroulons dans le restaurant d’une station services. Il est 13h30. Vite un Coca ! Nous commençons notre cure. Notre carte nous indique un hôtel Ecovilly, bon marché. Aïe ! Encore 6 km dont 4 de piste sableuse puis une colline à grimper par une rue si abrupte qu’il faut pousser les vélos à deux. Un jeune couple – visiblement nouveau propriétaire d’une villa à peine finie – nous donne de l’eau fraiche et téléphone à l’hôtel puis à une pousada un peu moins chère en centre-ville. On s’est bien fait avoir sur ce coût-là. Eco ne signifie pas éco-nomique mais éco-logique, ce qui n’est pas du tout la même chose. Mais en passant devant cet hôtel de luxe le courage nous lâche. Nous ferons des éco-nomies demain. Pour aujourd’hui, ça suffit. Grand luxe en effet puisque par la fenêtre ouverte de notre chambre nous voyons des poules et entendons des trilles d’oiseaux.

Devant notre hotel eco-logique

Nous quitterons bientôt l’autoroute pour longer la côte plein Sud, entre les dunes de sable très blanc et l’océan. Les bas-côtés sont généralement très défoncés et les chauffeurs brésiliens peu enclins à se déporter pour nous doubler, mais ce matin il y a peu de circulation. Mais nous avons enfin trouvé un écarteur de bagnoles. J’en connais qui avaient fait dépasser de leurs sacoches une balayette de WC. J’ai parfois eu envie de mettre une fourche en travers de mon paquetage. Mais comme nous sommes sympas, nous leur avons mis une frite.

route secondaire au Brésil

Dès qu’on s’écarte de la route principale, c’est de la piste ou des rues non pas pavées mais grossièrement empierrées – un régal à vélo ! Pourtant des gens à vélos on en voit qui vont faire leurs courses ou qui baguenaudent. C’est le cas de Marcel, un pur Brésilien qui ne parle pas un mot de Français malgré son prénom.

 

Nous avions repéré un camping sur la carte et voulions nous y arrêter avant de quitter la côte. A 11 h nous y sommes. Pas de camping. Marcel nous indique une pousada qui ne loue qu’à la semaine. Un hôtel non loin de là nous parait trop cher. Ne pas me demander la différence entre un hôtel et une pousada, je n’ai pas encore bien compris. Des pousadas il y en a pas mal sur ce bord de mer, certaines même pourraient être appelées des « pourradas ». C’est le cas de la troisième devant laquelle nous nous arrêtons. La patronne, grincheuse, nous donne le prix à travers la grille de son portail. Trop cher. Ça tombe bien car vu le bazar dans la cour, nous n’avons plus du tout envie d’y séjourner. Deux cents mètres plus loin une « résidence » nous fait mettre pied à terre. Il faut s’adresser au supermarché voisin. « Non, on ne peut pas louer. Les appartements sont en réfection ». C’est formidable tout ce qu’on arrive à se dire et à comprendre avec Google Traduction. Pourtant je n’ai pas bien compris la raison pour laquelle le patron du supermarché nous ouvre néanmoins un appartement et nous dit « gratuit ». Il était question de « pedalar » et de « bicycletas ». L’ange du jour, pour parler comme notre amie Mariette, s’appelle Guimar.

A midi le vent s’est levé et la promenade sur la plage immense et vide ne durera pas plus d’une heure.

Vendredi 22 – samedi 23 novembre 2019 – Lagoa Bacupari – 87 km

Route toute droite, toute plate. Nous sommes agréablement étonnés par la propreté des bas-côtés des routes et des trottoirs en ville. Pas un déchet par terre, pas de tessons de bouteille, pas un plastique qui traîne, pourtant les caissières de magasins ne sont pas avares d’emballages plastique.

Traversé, entre rizières et pâturages,  quelques villages agricoles, simples alignements de cases de béton ou de planches, une pièce, deux maximum,  dans un grand terrain entouré de grillage ou de barbelés, un ou deux chiens, des poules, souvent un cheval, une humble « maison de dieu », une école, parfois un mini mercado. De temps en temps de gros silos de coopératives. Les Brésiliens nous semblent très réservés, ce à quoi nous ne nous attendions pas. Nos vélos pas ordinaires leur font nous adresser un signe bonjour, parfois un petit coup de klaxon en nous doublant ou un signe d’encouragement.

 

Vu des cigognes, des émeus, des serpents morts ou vifs. 

L’église du village, mais où est le village ?

 

Près du lac, atteint par 4 km de route empierrée, s’est construit un village balnéaire, c’est-à-dire des résidences secondaires de tous les styles, la plupart de bric et de broc. L’ensemble pourtant n’est pas trop moche. Des campings, des pousadas en veux-tu en voilà.  Le propriétaire du mini-camping où nous nous arrêtons nous fait mettre la tente sous un abri, avec table et chaises. La grosse pluie de fin d’après-midi ne nous touchera pas. Sur ce terrain un peu foutoir il y a plein de bestiaux à voir : deux toucans, un paon, des poules, un coq très prétentieux, un gros cheval qui vit dans sa bulle et un drôle d’herbivore, un capybara le plus gros rongeur au monde, semi aquatique et herbivore, pouvant atteindre 50 kg et l'âge de 14 ou 15 ans.

Dans la soirée les grillons se mettent à chanter, couverts hélas par le bruit d’un karaoké atroce. Le lendemain soir ce sera concert de m… Oh ! Joie du camping ! Hors saison, alors que la plupart des locations sont encore fermées, je pensais pouvoir y échapper.

Le lendemain nous refaisons en sens inverse nos 4 km de piste empierrée et – je crève à l’avant. Jamais eu autant de crevaisons que depuis deux ans, avec pourtant les fameux pneus increvables Schwalbe Marathon Plus. Qu’on se le dise !

 

Toujours tout droit, toujours tout plat, toujours le même rythme. C’est claquant et j’ai mal aux genoux. En fait sur les 800 km roulés au Brésil, nous aurons eu à peu près 790 km rectilignes.

 Nous traversons de grandes cultures (riz et soja d’après ce que nous apprend un dépliant d’informations), des terres gorgées d’eau, des bois de pins plantés pour leur résine.

Vaches au bain

 

 

 Par une belle allée d’eucalyptus on arrive  à Mostardas il devrait y avoir un camping. J’y croyais à moitié. Et pourtant il existe bien. Au bout d’un chemin sableux nous sommes accueillis par une jeune femme souriante. Nous devrions être tranquilles ce soir. Une prairie ombragée, une salle pour diner et lire à l’abri, un coin cuisine. C’est parfait. Petit tour en ville pour voir La Rue Historique bordée de maisonnettes colorées. 

La rue historique de Mostardas

A Bojuru la Pousada Lucas, indiquée sur les cartes, est fermée. On nous fait signe de continuer à remonter la rue de sable. Le simplet du village nous accompagne. Un peu plus loin en effet est un restaurant, plutôt une cantine, où sont attablés une poignée de convives. « Bom dia » On nous répond d’un signe de tête. Une femme va se servir à une sorte de buffet. Je m’approche et soulève les couvercles. Du riz, des haricots rouges, du poulet. Sans surprise. L’homme qui sort de l’arrière cuisine à l’air d’être le patron. Il nous fait signe de nous servir. On se croirait dans un film muet. Notre repas avalé et payé nous demandons un hébergement au restaurateur qui nous indique la première rue à droite. « Pousada Lucas ? » - « Non, non, plus loin », c’est du moins ce que nous comprenons. Mais nous ne trouvons rien. Justement de la Pousada Lucas sort quelqu’un. Un couple de vieux se tient dans l’entrebâillement de la porte. Je vais vers eux pour leur demander où est l’autre pousada. La femme tente de me fermer la porte au nez mais l’homme sort, parle, parle. On ne comprend rien. « Dormir ? » Ca y est, il a compris. S’ensuit une vive conversation avec sa femme. Il semble vouloir nous loger mais la mégère ne veut rien savoir. Il nous fait signe d’attendre. Elle va se calmer. Finalement une chambre au rez-de-chaussée, donnant directement sur la rue, nous est ouverte. 60 RB, c’est correct. Nous nous écroulons pour une sieste.

 

Un petit tour dans ce village aux rues de sable balayées par le vent. Nous trouverons quelques boutiques ouvertes mais ça suinte l’ennui. La caissière du mercado dort à moitié, oublie de sourire et de dire bonjour. La petite jeune qui tient la pâtisserie s’arrache à son portable pour nous servir. Une grosse femme mâchouillant un chewing gum au volant de son 4X4 sort de l’aire de station essence déserte, dans une rue déserte. 

Le centre-ville de Bojuru

 

Nos deux soupes rapides achetées – et qui se révèleront vraiment pas bonnes – nous rentrons lire dans notre chambre tandis que le vent se renforce encore.

Si l’on regarde une carte, Bojuru n’est distant de Rio grande que de 76 km. Mais si l’on fait demi-tour alors qu’on a déjà pédalé une bonne demi-heure parce qu’on a oublié quelque chose – nos drapeaux en l’occurrence – cela fait un peu plus, et si on fait le tour de la ville à la recherche d’une pousada qui n’existe pas, cela augmente d’autant la longueur de l’étape. Cela dit le vent nous a bien soufflé dans le dos toute la journée – sauf le demi-tour bien évidemment.

96 km : 4 heures 30, 21 km/h de moyenne. Pas mal, mais fatiguant tout de même.

 

 

Après les bois de pins ce sont des pâturages puis des cultures d’oignons. On peut d’ailleurs en acheter sur le bord de la route : 10 RB  (2,50 €) les 10 kg. Envie de pissaladière.

De larges portails ferment des chemins menant à la maison d’habitation, 1 km au fond. C’est ainsi que nous passons devant chez Hercule et Rosalie (c’est marqué sur la barrière). Avec des prénoms aussi sympas on aurait bien aimé les rencontrer mais leur maison est vraiment loin à l’horizon.  Les gamins attendent le car scolaire sur le bord de la route.

Une immense lagune s’entend entre San Joa de Norde et Rio Grande. Au plus étroit c’est quand même 4 km de traversée que nous faisons sur un bac avec quelques camions et deux énormes camping-cars. Nous resterons une deuxième journée dans cette petite ville pas très jolie mais bien calme. 

63 km d’autoroute pour atteindre Pelotas. Pas très intéressant.

 

Petit tour dans la ville. Quelques vieux bâtiments rayés de fils électriques.

« Oasis balnéaire de Cerito ». Je m’attendais à des hôtels, pousadas, campings et cafés-restaurants. Rien de tout cela. Au bord d’une rivière un camping municipal, c’est-à-dire un grand pré bien ombragé avec quelques barbecues obsolètes, deux WC hors d’usage et sans porte. Un couple a garé son fourgon à l’entrée du parc, près du village et surtout près du seul point d’eau existant. Auvent, douche extérieure, évier avec eau courante… ils semblent installés pour des lustres. Dès la fin de matinée nous étalons notre bâche sous les saules pour piqueniquer. Le thermomètre montera jusqu’à 33° à l’ombre. Pendant que nous faisons la sieste des gars viennent brancher l’eau des toilettes et y mettre des portes. Finalement nous bénéficions du même confort que dans un camping à 20 $ aux USA. Attendraient-ils du monde ? En fin d’après-midi arrivent en effet deux familles nombreuses qui nous font migrer vers nos camping-caristes suivant leur invitation. « Vous serez plus tranquilles près de nous ». Et nous profitons de leur douche ! Grand luxe. Dommage que le soir, alors que nous rentrons sous la tente avec la ferme intention de dormir, ils se mettront à discuter très longtemps, très fort, car les Brésiliens ont tendance à avoir le verbe haut.

A Arroyo Grande Sergio, membre de Warmshowers, nous attendait. Quelqu’un de vraiment sympa avec qui nous aurions eu bien des choses à partager si nous avions su nous exprimer autrement qu’en une espèce de glouguiboulgas de Portugais, Espagnol, Anglais et Français. 

Avec Sergio, à Arroyo Grande

 

La langue portugaise semble avoir su se protéger des anglicismes. Daniel a acheté un polo et a dû choisir entre les tailles P (pequeno), M (meios) ou G (grande), ce qui est plus logique que S, M et L (Simone, Mauricette et Léon). Et puis pour  le weekend - fin de semana – on peut louer des cabanas – ou bungalows -, à moins d’avoir  apporté sa  baraca (toile de tente) pour camper. On pourra alors aller manger à la lancheira, ce qui est mieux qu’un snack. Mais il est vrai que nous avons maintenant sur les places de nos villages français des foodtruck, ce qui est tout de même plus moderne qu’un camionbouffe.

 

Il est temps maintenant d’oublier les quelques mots de Portugais appris ces derniers jours car demain nous serons en Uruguay et il faut décidément que nous nous mettions sérieusement à l’Espagnol.

 

 

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