Article rédigé de Negotin (Serbie) le 26 avril 2019

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tenue de combat pour notre entrée en Bulgarie

 

Par une matinée très humide et 11° au thermomètre nous franchissions l’Evros qui, jusqu’à son delta en mer Egée fait frontière avec la Grèce, par le vieux pont d’Edirne (Turquie) puis suivions les panneaux routiers Yunnanistan. Et je me demande toujours où les Turcs ont bien pu pêcher ce mot pour désigner la Grèce. 

Sur les quais de l’Evros à Edirne en juillet 2013

Sur les mêmes quais en avril 2019

 

Si j’avais le souvenir d’un passage rapide de cette douane en 2013, il n’en fut pas de même cette fois-ci. Non qu’il y ait eu beaucoup de monde devant nous mais notre cas posait problème. Nous étions restés 109 jours sur le territoire turc au lieu des 90 jours autorisés dans une période de six mois. Nous étions persuadés avoir droit à 90 jours à chaque nouvelle entrée dans le pays, mais c’était mal avoir lu les formalités d’entrée. Nous avions donc le choix entre payer une amende de 130 € par personne – « pas question » - ou bien être interdits de territoire pendant une durée de cinq ans. Nos passeports disparurent donc dans un bureau et nous attendîmes plus d’une heure, dehors, avant qu’on nous fasse signer notre arrêt de mort et que nos papiers nous soient rendus.

 

L’entrée en Grèce, où nous devions rouler une trentaine de kilomètres,  fut beaucoup plus rapide. Le temps d’acheter dans l’épicerie du village frontalier olives, pain, féta et ouzo et de prendre un café au kafeneion d’en face, nous ne reprenions la route qu’à 11 h passées. 

Il nous restait plus de 60 km à parcourir pour rejoindre le camping de Bizer. C’était sans avoir prévu   la pluie, de plus en plus forte, qui nous tomba dessus. Nous attendions un peu à l’abri à la douane, puis, le ciel ne laissant aucun espoir d’éclaircie, repartions sous des trombes d’eau, mais cette fois vers la ville de Svilengrade à 5 km seulement pour y chercher un hôtel. En entrée de ville nous trouvions refuge dans une station services alors que le vent transformait l’averse en déluge. Et nous entrions dans Svilengrad par un beau pont empierré enjambant l’Evros – appelé ici Maritsa. 

Une promenade dans les rues piétonnes propres et calmes du centre-ville nous permit de reprendre contact avec le pays. Nous avions totalement changé de contexte culturel, d’environnement. De grands arbres, platanes, saules, chênes et tilleuls mettaient leurs feuilles. Nous retrouvions les vastes jardins publics chers aux familles bulgares, des œuvres d’art contemporaines, et la langue de ce pays si difficile à mémoriser. Il fallait remplacer le « Merhaba » (bonjour en turc) par « Doborden », « Techekurle » - merci en turc -  par « Blagodaria » et « Samam » - c’est bon en turc -  par « Dobre ». Sur chaque porte d’entrée ou presque les photos des défunts de chaque famille sont affichées, parfois depuis une dizaine d’années. A tel point qu’on a envie de dire : « hé les morts ! Laissez-nous vivre un peu ! ». La musique était maintenant balkanique. Et une fois de plus nous avions quitté le pays du thé pour celui du café qui se boit ici très fort, un peu à l’italienne. Les Bulgares se shootent au café et à chaque coin de rue sont installés des distributeurs.

De nombreuses boutiques n’ont pas de porte et l’article commandé, en l’occurrence un gâteau ou un café, vous est délivré par une minuscule fenêtre

Après deux jours coincés à Svilengrad nous avons enfin pu reprendre la route, sous un ciel gris et par des températures fraiches pour la saison. Quel plaisir pourtant d’assister à l’explosion du printemps ! Pas de chiens errants comme en Turquie, des bonjours et des sourires. Doublée d’une autoroute notre petite route était très peu fréquentée. Nous verrons tout de même quelques carrioles tirées par des mulets.

Celui-ci voulut faire la course avec nous mais nous le distancions facilement sur nos pégases. Le canasson trottait tout de même à 20 km/h en tirant une carriole qui devait peser le diable.

Nous étions à Harmanli bien avant midi mais décidions de nous arrêter là. A Harmanli il y a un camp de réfugiés syriens, derrière de hauts murs et des barbelés. Peut-être un millier d’adultes et d’enfants survivent là, dans la misère, la boue et le froid, dans l’espoir d’être accueillis par l’Europe. Je ne me sentais pas très à l’aise me baladant sur mon beau vélo et à la recherche d’une chambre d’hôtel.

 Nous partions en reconnaissance dans cette ville sans grand attrait et pourtant pas glauque pour deux sous. Les façades des immeubles sont plutôt défraichies, quelques bâtiments en ruines, des femmes assises devant le supermarché vendent la production de leur jardin. Des gens trimballent des charges de bois de chauffage dans des poussettes. C’est pauvre, mais pas triste. Il y a des bancs partout, des espaces verts, des terrasses de café, des jeux pour enfants, et c’est propre, très propre. Pas un papier, pas une canette par terre. Au supermarché nous retrouvions avec plaisir des plats tout préparés. L’organisation de l’espace, la décontraction et le calme des piétons, les nombreux vélos utilisés pour les déplacements quotidiens, les rues larges et les petits magasins nous rappelaient le Kazakhstan, autre pays de l’ex union soviétique. Etrange cette impression d’être retournés dix mois en arrière.

Beau temps et vent frais. Nous empruntions une petite route bien tranquille sur environ 50 km, sur un plateau cultivé entre petits chênes aux feuilles tendres et bosquets d’arbres de Judée en pleine floraison, passant par des villages agricoles aux deux tiers abandonnés, les habitants rescapés de l’exode rural nous saluant de bon cœur.

Tout en roulant bon train je ne pouvais chasser de mon esprit les images de Notre Dame de Paris en feu. Il me semblait que c’était une blague – de très mauvais goût- que ce n’était pas possible. Le vaisseau de Notre Dame était éternel, indestructible. Comme la majorité des Français je pense, nous étions bouleversés.

 

Nous faisions étape à Stara Zagora, une ville gaie et active ou nous venions pour la troisième fois.

Départ de bonne heure sous un ciel changeant par la route n°5 qui file droit vers le nord, avec des camions, pas mal de camions. Notre but était la gare de Tulovo, presque au milieu de nulle part tant le village est insignifiant, d’où  nous voulions prendre le train pour franchir la barrière montagneuse. Juste comme nous arrivions sur le quai de la gare le départ du train était annoncé. Vite ! Vite ! Nous chargions les huit sacoches et les deux sacs, hissions les vélos par les trois hautes marches et la porte étroite du vieux wagon, sous l’œil du chef de train qui attendait pour donner le signal du départ. Ca allait vraiment plus vite que ce que nous avions imaginé. Nous n’avions même pas eu le temps d’acheter nos billets, ce qui fut fait dans le train.

Pas plus de trois ou quatre autres voyageurs occupaient les deux wagons. Le train parcourut 3 km puis s’arrêta… une bonne demi-heure.

 Ensuite le parcours nous captiva, remontant un petit torrent, de lacets en tunnels sur un parcours sinueux.

 Nous étions comme deux mômes ravis de l’escapade, allant sans cesse d’une fenêtre à l’autre pour tout voir. Il y eut des bois de grands pins et puis des hêtres au jeune feuillage fluorescent rayant horizontalement les troncs gris élancés. Mais plus nous prenions de l’altitude plus il faisait frais.

 

 

Il y a pléthore d’hôtels à Tryavna dont beaucoup affichent trois et quatre étoiles. C’est apparemment une bourgade très touristique et un départ de sentiers de randonnées. Nous y trouvions une chambre d’hôtes dans nos prix puis ressortions pour découvrir un vieux quartier de grosses maisons aux toits de lauzes, un vieux pont, des églises orthodoxes charmantes. 

 

Tryavna est réputé pour l’habileté de ses sculpteurs sur bois autrefois recherchés jusqu’en Serbie, Turquie et même en Iran. Un petit musée installé dans une belle demeure nous en donna un aperçu. 

Dans les boutiques de souvenirs hélas on ne trouve guère que des babioles. La promenade tourna court et c’est sous une pluie glaciale que nous retournions vers notre logis, tout de même à presque 2 km du centre, non sans avoir acheté notre dîner. Notre logeur avait allumé la chaudière. La météo annonçait une température de 1°.

Nous quittions notre hôte vers 8 h du matin, qui, pas frileux, bonnet de laine sur la tête et blouson sur le dos, prenait son café assis sur le parapet de sa rue. D’après les prévisions  météorologiques il ne devait pas pleuvoir de la journée, ce qui ne nous empêcha pas, à peine 3 km plus loin, de recevoir une averse glacée. Le thermomètre affichait 5° seulement. Cette petite route était pourtant bien jolie, grimpant dans un massif forestier essentiellement planté de hêtres.

Nous arrivions à Drianovo gelés, à la recherche d’un café chauffé et d’un supermarché. Le café ne fut pas terrible, le supermarché pas très garni et nous repartions rapidement vers le monastère visé, à quelques 6 km de la ville. 

A Drianovo Monument commémoratif de l’  insurrection bulgare contre l'empire Ottoman en avril 1876

Les bâtiments du monastère de Drianovo ne sont pas spectaculaires après une reconstruction fin XIXème siècle. Nous n’y trouvions pas, comme à Bachkovo et Rila, de fresques intéressantes, mais le site vaut absolument le détour. Deux torrents se réunissent là dans un cirque dominé de hautes falaises.

 

 Le thermomètre tenta une remontée jusqu’à 9° mais ce fut son maximum pour la journée.  Dommage  de ne pas pouvoir profiter de la grande terrasse de notre chambre. 

Monastère de Drianovo

Soleil et vent faible. Ca faisait longtemps qu’on attendait une journée clémente. Une petite route en pleine campagne, bien vallonnée mais si plaisante. Nous laissions derrière nous le massif montagneux des Grands Balkans avec un dernier regard sur les sommets enneigés, et roulions plein Nord vers le Danube.

 

Pédaler sur les routes secondaires en Bulgarie est un régal. Même si l’état des chaussées est absolument infect, on  peut choisir ses trous puisqu’on   y est quasiment seul. Ces routes sont le plus souvent bordées de noyers qui viennent tout juste de mettre leurs feuilles, encore collantes et rouges. 

C’est le moment d’en cueillir quelques poignées pour faire le vin de noix. (Si certains veulent la recette, je dois l’avoir sur ma clef USB). Les villages traversés sont plutôt tristes. Les maisons, les magasins et bâtiments abandonnés y sont nombreux. Mais il y a toujours un jardin public fleuri d’iris et de lilas, bien entretenu par les femmes, les hommes présents étant pour la plupart âgés.

Exemple des nombreux bâtiments abandonnés dans les villages.

Piliers des morts. Ils sont tous morts, ils sont tous partis

Des habitantes saisonnières

A Nikopol nous retrouvions le Danube. Et c’était plutôt étonnant de remettre nos roues sur nos traces de 2013.

Dans le Lonely Planet 2013 justement on peut lire ce qui suit :

« Le Danube, Dunav en Bulgare, est le deuxième fleuve le plus long d’Europe (2850 km dont 472 forment la frontière entre la Bulgarie et la Roumanie. Il prend sa source au cœur de la Forêt Noire, au Sud-Ouest de l’Allemagne et se jette dans la Mer Noire, en traversant quatre capitales (Vienne, Budapest, Bratislava, Belgrade) et dix pays (Allemagne, Autriche, Slovaquie, Hongrie, Serbie, Monténégro, Bulgarie, Roumanie, Moldavie, Ukraine). C’est le seul fleuve au monde à traverser autant de pays. »

 

A vos atlas. Cherchez l’erreur. Espérons que l’auteur a progressé en géographie depuis cette édition.

De toutes les régions traversées en Bulgarie ces dernières années, puisque c’est la troisième fois que nous venons, cette région riveraine du Danube est la plus triste, zone carrément sinistrée.

J’ignorais que l’Eurovélo 6 faisait un détour par le Baikal comme indiqué sur ce panneau.

 

Nous allons pourtant  suivre cet itinéraire balisé jusqu’à Bratislava.

En face, la Roumanie

Il nous faudra encore 3 étapes, et beaucoup de grimpettes pour atteindre la Serbie d’où nous postons cet article, confortablement installés dans une maison d’hôtes qui accueille – et avec quelle gentillesse – principalement des voyageurs à vélo ou à pied. 


Article rédigé le 14 mai 2019 à Budapest

 

 

Derniers kilomètres en Bulgarie. En passant la frontière à Bregovo on a presque envie de dire Ouf ! Les maisons sont désormais  bien entretenues, peut-être même avec un peu trop de rigueur, mais on sent tout de suite qu’il y a plus d’argent de ce côté. Toujours beaucoup de trous sur la route, mais bouchés. Nous roulons sur un patchwork qui aurait tendance à se découdre.

 

Contrairement à ses voisins (Bulgarie, Hongrie, Croatie, Roumanie) la Serbie (7 millions d’habitants) ne fait pas partie de l’Union Européenne. Pas encore… mais les Serbes acceptent volontiers les paiements en euros et semblent même les préférer à leurs Dinars.

Negotin, la Guesthouse Special Cyclists n’attendait que nous. Quel chaleureux accueil ! Café de bienvenue, un grand studio avec  salle d’eau privée pour 17 €, une cuisine à disposition avec thé et café à volonté -on nous offrira même un plat cuisiné de haricots pour notre dîner -, des tables dans un jardin où nous apprécierons de pouvoir prendre notre petit déjeuner. Notre hôte, Bojan, est aux petits soins. Il reçoit des routards du monde entier et voyage ainsi par procuration. Je dois dire que pendant ces deux semaines passées en Serbie nous serons toujours reçus avec autant de gentillesse.  Des orages étant annoncés nous décidions d’y rester le lendemain. Le centre-ville de Negotin est animé d’autant plus que c’est le week-end des Pâques orthodoxes et le samedi matin se tient un grand marché de producteurs.

Nous avons rapidement rejoint le Danube puis l’avons suivi sur une vingtaine de kilomètres par un sentier desservant des petites résidences secondaires au bord de l’eau. Montée sur un plateau tourbeux, avec vue sur les Carpates enneigées, puis redescente sur Kladovo, juste en face de la ville industrielle roumaine de Turnu Severin. Nous avions réservé une chambre dans un petit hôtel où nous serons les seuls clients. Notre hôte nous accueillit avec un café grec, les œufs de Pâques traditionnellement colorés, puis un verre de gnôle maison.

Belle route le long du Danube aux rives pentues et boisées. Passé les Portes de Fer, là où le fleuve, désormais élargi par un barrage, se frayait autrefois un passage étroit au fond d’une gorge. L’endroit est impressionnant. 

Si les jours précédents nous avions trouvé les conducteurs serbes courtois et amicaux, nous redécouvrions ces jours fériés la mentalité du touriste. Car en ce week-end prolongé, dans ces lieux pittoresques, ce sont des touristes en couple ou en famille, la plupart roumains d’ailleurs,  qui, comme nous, vont de point de vue en panorama. Et le touriste ne voit rien d’autre que ce que son appareil photo peut capter. Et encore… Aucun d’entre eux, qu’ils soient en voiture ou à moto, ne se saluent ni se font un signe bonjour. Ils s’ignorent absolument. Entre cyclos en revanche on se dit bonjour et c’est ainsi que nous échangions quelques tuyaux avec un couple d’Allemands et deux gars serbes qui descendaient le cours du Danube.

 

Nous avions dans l’idée d’aller camper quelques 6 km aprèsMulanovic chez le Captain Misi Berg, une sorte de jardin extraordinaire peuplé de sculptures que nous avions adoré lors de notre précédent voyage. Nous savions la côte pour y arriver très abrupte et, au fur et à mesure que nous en approchions, je me sentais déjà moins de courage, un peu de fainéantise pour tout dire. Quand il se mit à pleuvoir, nous n’avons plus eu envie ni de grimper ni de camper. Et le soir, tandis que l’orage faisait rage, nous étions ravis d’avoir un toit sur la tête. Partis à 9 h le lendemain matin  nous faisions moins d’1 km avant de faire demi-tour sous une bonne averse. Notre chambre était encore libre, nous pouvions donc la reprendre. Le temps de prendre un café et une décision, le ciel fit semblant de se déchirer et nous repartions pour recevoir, 1 km plus loin, une grosse pluie glacée qui nous tint pendant près de 20 km. Du paysage noyé et du Danube nous ne voyons pas grand-chose et ignorions les parkings « points de vue », ce qui ne nous empêcha pas de devoir nous arrêter à maintes reprises pour allumer nos lampes à l’entrée des nombreux tunnels. 

C’est lors d’un arrêt momentané de la pluie que nous croisions Wolf attelé à sa carriole. Il avait commencé la descente du Danube deux ans auparavant, en trois étapes. Le tronçon de cette année le mènerait de Belgrade à la Mer Noire, soit environ 800 km.

 

Nous savions un camping avec bungalows et caravanes à louer à Dobra et ne le trouvions pas. Repartis toujours sous une pluie battante ce n’est que cinq kilomètres plus loin qu’un panneau « Camping Asin » nous indiqua un sentier de terre à gauche et nous arrivions enfin dans un beau vallon verdoyant – très vert ! – Milena et son mari nous y accueillirent avec beaucoup de gentillesse – et un gâteau et jus de fruit maison que nous dégustions sous le seul rayon de soleil de la journée. Et nous étions tout contents d’être logés dans une caravane spacieuse, avec un petit chauffage et deux bonnes couettes, tandis que la pluie tambourinait sur notre toit.

Et il plut jusqu’au surlendemain. Nous avions des pâtes et de la purée mousseline, du pain et du fromage… Nous décidions de ne pas bouger. Nous n’allions certes pas mourir de faim avec une hôtesse comme Milena. Elle nous apporta vers midi une assiette de chorizo, œufs, fromage et pain maison, des petits gâteaux que nous gardions pour notre thé, puis, vers 15 h le lunch : une gamelle d’une sorte de pot au feu qui avait mijoté toute la matinée dans la cheminée – et que nous gardions pour notre dîner car nous n’avions décidément pas les mêmes horaires que les Serbes.

 

 

Beau temps, vent frais. Tout va bien. Nous longions le Danube par une route verdoyante et bientôt ce fut la forteresse de Golubac qui se dressa à la sortie des anciennes gorges.

 Un tunnel passe sous la citadelle et là, ce fut le choc. En 2013 nous nous étions arrêtés là dans un bosquet en bordure du fleuve pour nous reposer et dessiner la forteresse. De ce petit bois il n’y a plus trace. Plus d’ombrage. Plus de banc. Le Grand Inquisiteur de l’Environnement, qui porte le nom d’Aménageur du Territoire, est passé par là. Il n’y a plus un arbre, tout a été bitumé, dallé, grillagé, et s’élève maintenant un complexe touristique. Le lieu a été irrémédiablement gâché à grands coups d’Euros. Filons. 

 

A Ram il faut prendre un bac pour traverser le fleuve. Il arrivait justement d’en face. Ce n‘est qu’une plateforme de bois archaïque- sur laquelle n’hésitent pas à monter une douzaine de véhicules – et poussée par un rafiot fatigué, très fatigué,  la tôle en dentelles. Parmi les passagers descendirent deux jeunes Suisses à vélo. Le bac ne repartant que deux heures plus tard nous allions boire un café en leur compagnie.

En atteignant enfin la rive opposée à 17 h il n’était plus question que d’aller au camping le plus proche. Et ce fut à nouveau la joie de l’ambiance « campinge » !, dans un décor glauque, envahi par une bande de jeunes en folie. Nous nous exilions tout au bout du terrain sans réussir toutefois à échapper à leurs vociférations qui durèrent jusqu’à l’aube.

 

 

Depuis que nous avons rejoint le Danube les rencontres de cyclovoyageurs se multiplient. Cette fois-ci c’est avec un jeune couple d’Allemands partis pour la Route de la Soie que nous bavardions dix minutes sur le bas-côté.

A l’entrée de Kovin un homme nous héla en Français par la fenêtre de sa voiture. « Perdus ? » Français mais sans doute d’une famille originaire de Serbie il a repris les terres d’une vieille tante dans la région. « Marre de Paris. Ici je suis devenu paysan ». Et nous apprenions qu’il y a dans la région bon nombre de retraités allemands, anglais ou français expatriés qui, avec leur retraite bien insuffisante dans leur pays d’origine, peuvent avoir ici une vie décente. Les courses faites dans un supermarché, une glace mangée sur un banc,  nous repartions vers un camping indiqué sur un prospectus et nous trompions de route. Ce village, nous le voyons bien, mais loin sur notre gauche alors que nous roulions sur la route toute droite et dangereuse de Belgrade. C’est par un chemin de terre coupant à travers champs que nous finirons par arriver à Skorenovac. Dans une boutique nous demandions notre chemin à un Chinois qui s’ennuyait en regardant un film sur son téléphone. Apparemment il n’en savait rien et s’en fichait. C’est un jeune gars heureux de planter là son boulot  qui nous amènera devant une porte toute semblable aux autres, dans l’une des rues perpendiculaires du village, avec un minuscule panneau sur le mur de façade : « Dani Camp ». La porte s’ouvrit sur la cour d’une ancienne ferme rénovée. Des travaux d’agrandissement étaient en cours. On nous indiqua deux douches et WC au fond d’une grande pièce et nos plantions la tente dans le jardin, non sans avoir bu la gnôle de bienvenue. Un âne et trois moutons s’ébattaient autour de nous. Vers 18 h le vent se leva d’un coup, violent et glacé, et le ciel s’assombrit. Remballés nos espoirs d’apéritifs et diner dehors. Nous perdions 15° en dix minutes.

 

 

Il plut un peu dans la nuit mais au matin le temps était à nouveau superbe et nous prenions le petit déjeuner dehors. Nous quittions les lieux sans revoir nos hôtes et roulions bon train jusqu’à Pancevo. Nous avions réservé dans une Auberge de Jeunesse de Belgrade pour le soir, la météo étant très pessimiste une fois de plus.

Piquenique peu avant Belgrade

 

Pour atteindre Belgrade, on a le choix sur les quinze derniers kilomètres entre une route étroite à circulation très rapide – nous l’empruntions sur quelques kilomètres et la trouvions détestable et dangereuse – et un chemin de terre défoncé sur une digue que rejoignions bientôt. Nous n’avancions pas bien vite mais au moins étions nous au calme et en pleine nature. 

Et puis il a fallu traverser le Danube, par un unique pont sur lequel le cycliste est obligé de rouler sur un trottoir étroit, plein de bouts de verre, de bosses et de trous tandis que bus et camions le frôlent à vive allure. (c’est bête quand j’ai pris la photo il n’y avait exceptionnellement pas de circulation). Et dire que nous sommes sur l’Euro Vélo 6, la vélo route la plus empruntée d’Europe ! Au bout du pont on continue le long d’une glissière sur une sente de terre tout juste assez large pour les sacoches et puis au niveau d’une sortie de  route par la droite, alors qu’on est  toujours sur le trottoir, un panneau indique de continuer tout droit, c’est-à-dire de descendre du trottoir, de traverser alors que les véhicules déboulent à 80-100 km/h, et de remonter sur l’autre trottoir décidément bien haut. Et, en arrivant enfin dans la cour bien calme de l’hôtel, on se dit qu’on quittera Belgrade dès demain dimanche. Le dimanche est un jour tout indiqué pour traverser une ville, la circulation étant très fluide, alors qu’un jour de semaine à l’heure où chacun se rend qui au bureau, qui à l’école, c’est plus scabreux. Tant pis pour la citadelle, tant pis pour la plus grande église orthodoxe du monde ( !). Enfin, si la pluie veut bien s’arrêter car, après seulement deux journées clémentes, il pleut à nouveau.

Peinture murale dans la cour de l’auberge de jeunesse Fairs Square de Belgrade

Au réveil le dimanche il tombait des cordes. A 9h il pleuvait toujours. A 10 h nous payons pour une seconde nuit et ¼ d’h plus tard la pluie s’arrêta et il fit presque beau. J’étais furieuse d’avoir décidé trop tôt de rester dans cette ville. Nous sauvions la journée en allant au Musée National fermé lors de notre passage en 2013. Petit musée pour une capitale mais où nous avons pu voir quelques belles statuettes datée du néolithique et quelques peintures de nos artistes préférés 

88 km dont une dizaine en ville pour quitter Belgrade sous une pluie fine par une température de 6°. Le thermomètre atteindra difficilement 8° à la mi-journée. Ensuite une bonne section de Route Nationale 100 bien étroite et sans accotement comme toutes les routes serbes, par un vent bien froid, ensuite des petites routes de campagnes complètement défoncées mais très fréquentées par des chauffeurs pas toujours très fins et, pour boucler la journée, 4 km de descente sur la Nale 100 retrouvée, toujours aussi étroite, avec une théorie de camions au cul et en face sous un crachin glacial qui brouille la vue, mouille les freins. Tendus, contractés, fatigués, nous trouvions une chambre spacieuse – et chauffée ! – dans une maison d’hôtes de Karlovcy. Comme toutes les habitations de cette région, seul le pignon donne sur la rue ainsi qu’un grand porche qui s’ouvre sur une cour. Nous y avons été accueillis par la maman avec beaucoup de gentillesse, un thé chaud et des petits gâteaux. Dans une cuisine aménagée dans une belle grange nous avons pu faire cuire notre gamelle de riz avant de nous enfouir sous la couette.

 

 

Nous étions attendus à Banostor par Branka et Pavel, à quelque 25 km de Novi Sad, rive droite. Mais pour nous y rendre nous avons choisi de rester sur la rive opposée puis d’emprunter un petit bac. Au niveau de l’embarcadère des tracteurs faisaient tourner dans l’eau de gros rouleaux. Nous étions intrigués. Que nettoyaient-ils ? Des cailloux ? Non. Des carottes ! Leur récolte de carottes nouvelles.

Il ne faisait pas bien chaud mais nous décidions tout de même d’attendre un peu afin de ne pas arriver trop tôt chez nos hôtes et nous dirigions vers une aire de piquenique où un jeune couple d’Argentins faisait une pause… avant de se rendre eux aussi chez Branka et Pavel. C’est donc après avoir fait connaissance, que nous arrivions tous les quatre chez nos hôtes. Nous y fûmes reçus comme des rois dans une maison confortablement meublée destinée à leurs invités.

Avec des Argentins, pas de temps mort entre le moment de l’accueil et le début de la conversation. On entre dans le vif du sujet tout de suite. Ainsi nous apprenions qu’ils avaient tout quitté six ans plus tôt pour parcourir le continent américain dans leur van en vivant de la vente des bijoux qu’ils créent. En fait ils étaient là un peu en vacances pour trois mois en Europe.

Nos hôtes se présentèrent à leur tour. Eux aussi créent des bijoux– et ils nous montrèrent entre autres de très beaux bracelets – et surtout, surtout, ils sont très engagés dans le sauvetage des animaux maltraités. Leur principale action a concerné les ours montrés sur les places publiques par les gitans. C’est ainsi que, épaulés, puis abandonnés, par les pouvoirs publics, ils se sont retrouvés avec sept ours bruns sur leur terrain, un tigre du Bengale à la maison qui vécut jusqu’à l’âge de 19 ans, et une cinquantaine de chiens dont nous n’entendrons pas le moindre aboiement. Toute cette faune est tenue bien à l’écart du coin réservé aux cyclos, ce qui est heureux autant en ce qui concerne les chiens que les ours. Branka et Pavel nous ont servi un repas préparé tout exprès pour nous et nous discutions à bâtons rompus jusqu’à 10 h du soir puis la soirée se termina par une partie de babyfoot où tous les invités furent battus par des hôtes trop bien entrainés. 

Nos jeunes amis couchèrent sous leur tente dans le jardin tandis que nous profitions du confort douillet des banquettes du salon et que, dehors, la température tombait à 3° par une belle nuit étoilée.

Le lendemain matin, petit déjeuné sur la terrasse au soleil tandis que Pavel nous en apprenait un peu plus sur la situation politique et économique de la Serbie. Mais j’étais saturée de paroles. Il faisait si beau, la lumière était si belle, nous avions besoin de reprendre notre digue entre champs et saules. Nous quittions tout le monde non sans nous  être chaleureusement embrassés.

Busruches

En passant la frontière hongroise nous entrons dans l’Union Européenne. J’ai l’impression, en allant, toujours vers l’Occident, d’arriver chez des fous furieux. Villes envahies de bagnoles, partout, sur les trottoirs, dans les rues. Difficile de voir l’architecture.  Jeunes très branchés, bateaux privés avec gros moteurs, musique hurlante le jour, la nuit, chez le boulanger, l’épicier, au troquet. Des églises catholiques, des crucifiés à tous les carrefours, mais pour annoncer les heures une musique de variété à la place des cloches. Vas-y coco, c’est moderne, même si c’est complètement con…  Des cyclistes du week-end nous doublent, en pleine nature, radio à fond avec publicité. 

Nous aimons bien notre vie de nomades parce qu’au moins, quand on trouve tout trop bête, on se tire. Mais la nuit à Baja, nous n’avons pas pu l’éviter. Pas le courage de tout remballer en pleine nuit. Alors nous avons supporté. Difficilement.

30 km de digue bien goudronnée, toute droite, haie d’arbres à gauche, grandes cultures à droite. Ce n’est pas très intéressant mais ça roule bien et nous pouvons nous défouler après la nuit blanche que nous venons de passer. Ces grandes plaines de Pannonie doivent être glaciales en hiver, balayée par le vent du Nord. Ce nom, la Pannonie, nous ramène en souvenir à notre région bien aimée, à un château Renaissance qui porte le même nom, près de Rocamadour.

 

Au niveau de Harta, nous bifurquions vers la rive du Danube. Alors que nous nous ne savions trop où aller, un gars en voiture nous fit signe de le suivre. Près d’une petite plage et au pied d’un restaurant et d’un snack, un terrain herbeux est offert aux campeurs. Toilettes et douches chaudes, wifi publique gratuite.

 Forte de notre expérience de la veille je redoutais une descente nocturne de noceurs, ou tout simplement de gens venus faire la fête dans cet endroit à l’écart où ils ne gêneraient personne. Mais les seules à faire la foire furent les grenouilles -et elles, non seulement je les excuse mais je les aime – et les oiseaux musiciens commencèrent à chanter dès 4 h du matin, pour notre grand bonheur.

 

Le parcours de l’Euro Vélo 6 en Hongrie est décidément peu intéressant. Nous traversons des bosquets d’acacias en fleurs et puis de saules qui perdent leur duvet emporté comme neige par le vent.

L’arrivée dans Budapest est un plongeon dans la première vraie ville européenne de notre parcours. On se croirait à Paris en novembre. Il pleut et il fait froid. Nous avions réservé une chambre par internet dans une auberge de jeunesse. Bonnes surprises : les vélos dorment avec nous, il y a un restaurant chinois à 5 mn à pied et   Décathlon est à 10 mn. Nous commencerons par nous acheter pantalon et chaussures d’été, puis y retournerons pour des capes de pluie neuves. 

Budapest sous la pluie

 

Les prix augmentent ostensiblement au fur et à mesure de notre progression vers l’Ouest et notre qualité de vie va en prendre un coup. Bientôt finis les cafés en terrasse – un thermo d’eau chaude et un banc public feront désormais l’affaire pour notre Nescafé -, finie la petite glace de l’après-midi, fini le confort d’une chambre d’hôtel le soir, bref, finie la vie de bourgeois.

 

 

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