Notre voyage  2019-2020 en Amérique du Sud, pour voir la carte

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Article rédigé le 22 janvier 2020 à Potisi

 

 

 

 

 

 

Nous avons traversé le grand plateau de La Puna (Argentine), la partie la plus australe de l’Altiplano, à fond de train. Ce fut une course contre la montre – ou plutôt contre la pluie – pour arriver en fin d’étape avant l’orage annoncé. Les averses sont derrière nous, sur les côtés, puis devant. Nous ne prenons pas le temps de nous arrêter pour fixer les images de ces fermes et bergeries isolées dans ce désert, des troupeaux de lamas, moutons et même bovins qui paissent dans l’herbe rase. Au fait, comment appelle-t-on une bergerie pleine de lamas ? Une lamaserie … ?

La température ne dépasse pas 13-14 degrés. Nous forçons sur les pédales, vent de face, et pilons à La Quiaca, ville frontalière argentine à 5 121 km de la ville extrême australe Ushuaia, devant un petit restaurant, affamés et gelés. Nous avons pourtant ressorti du fond des sacoches pantalons et grosses chaussures.

Nous passons la frontière assez rapidement en début d’après-midi sous une pluie glaciale. Un peu déçus tout de même de n’avoir droit qu’à un mois de séjour au lieu des deux ou trois escomptés. Mais nous y repenserons plus tard, la priorité est de nous mettre à l’abri. Les sommets des  montagnes alentours se couvrent de neige.

La Quiaca (Argentine) et Villazon (Bolivie) sont séparées par une rivière. De La Quiaca, bourgade aux maisons basses, la ville bolivienne semble toute constituée de bâtiments à étages et en briques rouges. Autant il y a peu de commerces côté argentin autant les petites boutiques sont à touche-touche côté bolivien. C’est une débauche d’articles jusque sur les trottoirs. On trouve de tout, sauf un supermarché. Le soleil revenu les étals de rue sont débâchés et les vendeurs reprennent leur attente. En haut de la ville où nous logeons, ce sont des stands de vêtements, chaussures, accessoires électriques, casquettes, etc., souvent tenus par des jeunes. Dans le bas, vers la place centrale et l’église, les étals de fruits et légumes sont tenus par des femmes aux cheveux nattés, coiffées de chapeaux, habillées de jupes amples et de gilets superposés. Nous achetons tomates et bananes pour notre repas du soir, peu tentés, pas du tout tentés même, par les Beignets Baignant dans des Bains de friture douteux ni par les plats de graillons à manger sur place.

La soirée se passera dans la chambre à étudier la suite du parcours.

Je croyais que nous allions rouler sur un plateau bien plat pendant une quarantaine de kilomètres. Mais l’altiplano, c’est comme le Causse de Rocamadour, pas plat du tout. Et puis il y a eu une descente de 15 km qui ne me fit pas regretter d’avoir pris la route du Sud vers le Nord. Nous nous sommes retrouvés dans une petite vallée fertile mais bien encaissée, avons traversé un très large torrent de montagne charriant un flot de boue, puis, avec encore bien des bosses trop raides, avons roulé dans une clue de roches rouge orangé. 

Enfin nous sommes arrivés à Tupiza, avons trouvé un hôtel juste avant une bonne averse, sans rien avoir avalé d’autre qu’un bout de pain et une banane depuis le petit déjeuner. En fin d’après-midi nous nous sommes attablés dans un snack devant une assiette de poulet-riz-frites-nouilles. Nous apprendrons dans la soirée que la Bolivie vit avec une heure de retard sur l’Argentine. Ainsi, sans le savoir, avons-nous enfourché les vélos dès 6 h du matin et diné à l’heure du thé. A 19h30 il fait nuit.

A Tupiza, 3 000 m d’altitude, surprise, les lauriers roses et les lagerstroemia sont en pleine terre et tout en fleurs.

Le Sud Lipez en 4X4. Nous avions pourtant dit que nous ne le ferions pas. Et puis nous nous sommes laissés influencer par les amis qui en gardent un superbe souvenir, même les plus écolos et les moins motorisés d’entre eux. Certains traversent cette région à vélo, mais c’est bien trop difficile pour nous. Je n’étais vraiment pas à l’aise avec ce genre de tour organisé. Sillonner un parc naturel, une région protégée, à l’arrière d’un de ces véhicules tout terrain énormes que j’exècre sur la route, être trimballée comme un gros tas sur des pistes ne me convient guère. Comment accepter d’aller défoncer le Salar d’Uyuni en 4X4 quand on ne supporte pas le saccage des sentiers du Lot par les quads ? 

Toute honte bue et pleins d’appréhension nous nous sommes donc embarqués pour quatre jours et 1 200 km de pistes avec notre chauffeur Pedro et un couple de jeunes de moins de 30 ans, gentils quoique plutôt couillons, leur principale qualité – et non des moindres- étant d’être peu bruyants. Quant à Pedro (39 ans) il est plein d’attention pour ses hôtes mais pas au point de de partager avec eux ses feuilles de coca chaque fois qu’il s’en bourre la chique. Nous n’en serons pas frustrés.

 

Et devant les spectacles offerts par Dame  Nature, dès le premier kilomètre et jusqu’au dernier, nous avons oublié nos scrupules. Il y eut des pistes de sable, de la tôle ondulée, des passages à gué, des villages à 4 500-5 000 mètres d’altitude, tristes et isolés, où nous avons été logés en dortoirs.

Dans ces chambres sans chauffage les grosses et lourdes couvertures s’empilent sur les lits pour affronter des températures qui peuvent descendre jusqu’à -25° en plein hiver, c’est-à-dire en juillet-août. Heureusement c’est l’été en ce mois de janvier ce qui ne nous empêche pas de supporter la doudoune en pleine journée. Quand le sol daigne être moins caillouteux en dessous de 4 500 m les petites fermes vivent de l’élevage de lamas et dans les creux de vallons où la cendre des volcans environnants fertilise le terrain sont cultivés des petits champs de quinoa.

Les villageois de cette région vivent en grande partie de l’accueil des touristes. On les voit peu, les femmes nous servent sans parler et retournent vite dans leur cuisine. Certains hommes vont travailler dans les mines Borax.

La matière première part ensuite en camions (autrefois à dos de lamas en caravanes mais un lama ne peut porter plus de 25 kg) vers le Chili tout proche et l’Océan Pacifique pour l’exportation. C’est peu dire que les boliviens regrettent de ne plus avoir d’ouverture  sur la mer depuis qu’ils se sont fait rafler en 1879 leurs 400 km de côte par le Chili. Cela leur reste tellement en travers que dans presque chaque bourgade existe une « rue de la mer » et le 23 mars est un jour férié, le « jour de la mer ».

Pour en savoir un peu plus sur le borax, matière naturelle utilisée dans notre vie de tous les jours, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Borax

Mais je reprends mon énumération : il y eut des rochers rouges, des montagnes et des lacs colorés, des flamands roses et des lamas prétentieux, des vigognes sauvages, des déserts de broussaille et d’autres de caillasse, des solfatares et des sources chaudes à 4 870 m d’altitude, de la neige et des orages et parfois les deux en même temps. 

Et enfin il y eut le lever de soleil sur le Salar d’Uyuni, le plus grand salar du monde (12 000 km2) à 3 700 m d’altitude, à cette saison couvert d’une fine couche d’eau qui reflète les couleurs du ciel. Du grandiose ! De la peinture abstraite à donner envie de rentrer tout de suite chez soi et prendre les pinceaux.

Mais cette grande réserve de sel de 120 m d’épaisseur recèle de l’or blanc ! Japonais et Chinois le creusent déjà pour en extraire le lithium qui fait fonctionner les voitures et vélos électriques (dites écologiques), les ordinateurs, téléphones portables, et qui amènera peut-être un peu de richesse aux pays qui en possèdent, mais à quel prix pour notre pauvre planète.

« Ce résumé est issu du reportage “La ruée vers l’or blanc”, publié dans le numéro 233 du magazine National Geographic, daté de février 2019.

Sous le plus vaste désert de sel du monde gît 17 % du lithium planétaire. Le “triangle du lithium” compte aussi le Chili et l’Argentine, traversé par le plateau andin de l’Altiplano-Puna, dans lequel se concentrent les ressources. Le métal, en passe de devenir plus précieux que le pétrole, est un composant essentiel des batteries d’ordinateurs, des téléphones portables et d’autres appareils électroniques. Sa consommation mondiale a été d’environ 40 000 t en 2017, soit une augmentation de 10 % par an depuis 2015. En seulement trois ans, le prix du lithium a presque triplé. Cette hausse risque de s’amplifier avec la popularisation des voitures électriques. Une Tesla model S utilise un bloc de batterie contenant environ 63 kg de composés de lithium, soit l’équivalent de 10 000 téléphones portables ! La Bolivie profitera-t-elle de cette manne économique pour sortir de la pauvreté ? »

Le dernier soir nous avons couché dans un hôtel entièrement construit en bloc de sel. Le sol lui-même était jonché de gros sel. On aurait pu croire que cela serait humide, mais pas du tout.

Nous sommes rentrés à Tupiza dans notre chambre agréable et lumineuse avec terrasse et chaises longues, crevés, claqués, chargés, incapables de reprendre les vélos tout de suite. Il nous fallait du repos, du silence pour décanter, faire le tri des images, digérer tout cela. Nous y sommes restés trois nuits. Et le dimanche nous sommes tombés par hasard, tout au bout de la ville vers le nord, sur la foire hebdomadaire. Attablés à de grandes tables, assis sur des bancs de ferrailles bien peu confortables, nous nous sommes mêlés aux locaux pour manger un poisson grillé accompagné de pommes de terre en robe des champs et de grains de maïs.

Le jour de ses 66 ans Dany s’est offert un col à 3 600 m. Et comme nous partageons tout, moi aussi.

15 km de montée avec de bons pourcentages. Après ces huit jours sans pédaler nous n’avons ni les jambes ni le souffle.

Ensuite c’est la traversée d’un très beau plateau parsemé de cactus candélabres, puis encore une courte montée qui nous achève et enfin 30 km de descente. C’est à 45 km/h que nous fuyons devant l’orage.

Arrivés dans la bourgade animée de Cotagaita éreintés. Il y a de l’animation, beaucoup de vendeuses de fruits sur le trottoir, quelques snacks et une ribambelle de bus et taxis collectifs qui pourraient nous emmener à Potosi, encore à 190 bornes et à 4 000 m d’altitude, pour 25 Bov (soit un peu plus de 3 €). On se demande parfois si on n’est pas un peu masos ou simplement cons.

Eh bien pas si masos que cela. Parce que le lendemain …

Ca a commencé à monter tout de suite puis à redescendre abruptement dans un vallon où se niche un village de terre, et ce rythme de côtes et descentes devait se poursuivre. Mais en déboulant dans le creux de Tusmula Dany m’a soudain désigné ce qui nous attendait : un escalier ! La route s’était transformée en un escalier géant pour grimper un mur de montagne sous de sombres nuages noirs. Oh non ! Aucun courage. J’interroge l’appli du téléphone qui m’annonce des dénivelés impressionnants et un passage à 4 350 m avant Potosi. Stop. Oui. Autostop ! Voilà ce que nous allons faire. Et c’est un microbus qui chargera tout notre barda sur sa galerie. 

Quand nous nous sommes retrouvés dans la neige, on s’est vraiment dit que ce n’était pas con d’avoir pris ce taxi.

 


 

 De Potosi au lac Titicaca

Article rédigé le 4 février 2020 à Copacabana

Nous sommes arrivés le 21 janvier  dans l’après-midi à Potosi sous la pluie à travers les installations minières qui rongent la montagne, lui sucent le sang et la boue. Notre chauffeur nous débarque sur un bout de trottoir et, gelés et en short, nous traversons la ville vers l’hôtel repéré.

L’hospedaje Maria Victoria est aménagée dans un ancien couvent, les chambres occupant les cellules autour d’une cour centrale. Il fait 13° dans la chambre, mais les couvertures sont en grand nombre, tellement lourdes que nous préférons sortir nos duvets. A ma question : « c’est un temps normal pour la saison ? » le jeune gérant me répond : « oui, parce que c’est l’été. En hiver il fait froid ». Potosi à 4 000 m d’altitude est une des  villes les  plus hautes du monde.

Potosi est une belle ville. Tout le monde le dit et c’est vrai. Les rues très pentues sont  bordées de façades colorées et ornées de balcons de fer forgé et de galeries de bois. Les églises et les couvents sont innombrables et superbes. Visite très intéressante du couvent des Carmélites Santa Theresa dans lequel étaient enfermées dès l’âge de 15 ans et pour une réclusion perpétuelle la deuxième fille des riches familles. Les demeures des anciens colons sont toutes closes de lourdes portes cloutées et de grilles pour protéger les richesses accumulées. 

Charles Quint ne disait-il pas, en empochant les richesses : « Je suis la riche Potosi, le trésor du monde, la reine des montagnes et la convoitise des rois » ? Les Espagnols ont longtemps employé l’expression « cela vaut un Potosi » pour exprimer la valeur d’une activité. Mais tout cela s’est payé avec le sang des esclaves qui ont creusé la Cerro Rico, la Montagne Riche qui, écorchées à vif, domine la ville. Les colons sont partis avec tous leurs trésors mais des centaines de mines d’argent (ce qui en reste), de zinc, d’étain et de plomb sont encore exploitées et si, parait-il, les ouvriers y gagnent plutôt bien leur vie, ils la perdent aussi dans  ce travail inhumain à plus de 4 000 m d’altitude. La montagne est devenue un véritable gruyère au point qu’il a fallu la stabiliser en y injectant 50 000 tonnes de sable et de roches dans la cavité sommitale en 2015. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On peut faire la visite d’une mine, certainement très instructive, mais nous nous refusons à descendre dans ces boyaux.Aujourd’hui Potosi est une ville de 200 000 habitants, populeuse, animée, asphyxiée par la ronde incessante des bus – pour la plupart importés d’occasion de Chine, de Corée ou du Japon comme en témoignent les idéogrammes sur la carrosserie -  qui crachent leurs gaz dans les étroites rues pentues du centre-ville en une ligne de chenilles processionnaires. Je suis très essoufflée rien qu’en me promenant à pied et l’idée de reprendre le vélo m’inquiète.

Nous avons laissé vélos et sacoches à l’auberge de Potosi et, chacun avec un petit sac, avons pris le bus pour Sucre quelques 150 km au Nord, capitale constitutionnelle de la Bolivie, avant La Paz, capitale administrative où siège le gouvernement.

 

Tout de suite on s’est senti mieux à Sucre. A 2 700 m d’altitude on respire enfin. Et cette ville toute blanche est percée d’avenues assez larges pour que les gaz d’échappement… s’échappent.

La ville est riche, cela saute aux yeux. Les façades des bâtiments administratifs sont imposantes et cachent de jolis patios. 

Les couvents et églises aussi nombreux qu’à Potosi se chargent de retables baroques. Nous en visiterons quelques-uns. Choc devant les bâtiments du couvent St François d’Assise transformé en Musée de la Guerre.

 

Ce samedi 25 janvier est  jour de la présentation du Nino au temple. Dans l’église Santa Theresa le prêtre bénira toute la journée les vrais nourrissons et les poupons de celluloïd luxueusement vêtus ainsi que les images pieuses de l’enfant Jésus.

Le marché est très animé. Les étals y sont classés par catégories. Au premier étage on peut déjeuner de plats très simples (soupe+riz+poulet) pour 10 Bov (1,30 €). Dans la cour centrale des femmes trônent au-dessus de superbes étalages de fruits et servent de grands verres de jus de fruits. Il y a beaucoup de monde et de tous âges à venir siroter un verre systématiquement rempli une seconde fois pour le même prix.

Si les pauvres gens sont nombreux dans les rues à tenter de vendre quelques babioles, quelques sucreries ou des fruits - ou à mendier pour les plus vieux-, ils ne résident certes pas dans les maisons à balcons de fer forgé et fleuris de bougainvillées. Gangrénant les collines environnantes, la banlieue de briques – et de broc aussi- les attendent chaque soir. Ce sont surtout des femmes qui passent leurs journées assises à même le trottoir marqueté de merdes de chiens (qui ne seront lavées que par la pluie s’il pleut assez – les merdes, pas les femmes), avec pour tout horizon le bitume et les gaz d’échappements pour oxygène. Certaines ont un nourrisson au sein ou enveloppé dans une couverture à côté d’elles. Qu’espèrent-elles pour leurs gosses ? Elles ont déjà presque toutes un téléphone portable et une bouteille de coca !… Une bonne école ?, un emploi dans un bureau ?, des Nike et une bagnole ? Pas d’air pur en tout cas, ce n’est pas la peine d’y compter.

Le 25 janvier, décidément un jour important, il est habituel de faire bénir par le prêtre une miniature représentant toutes les choses convoitées pour la nouvelle année. Nous ne le verrons pas faire à Sucre et c’est parait-il une pratique plus courante à La Paz. Dans le musée ethnographique nous avons pu voir quelques-uns de ces exvotos pleins d’imagination par la facture et les couleurs si ce n’est par les désirs exprimés. Ces dernières années sont apparus sur ces petites sculptures ordinateurs, téléphones, écrans plats de TV et  passeports miniaturisés.

Un matin nous nous sommes réveillés sous un ciel gris. Pas de vent. La pollution est palpable. Je peine terriblement pour monter jusqu’au monastère de La Recoleta, essoufflée comme à vélo dans une pente à 20 %. Pas faim, des vertiges, des nausées et maux de tête. J’ai le mal des montagnes. A coups de paracétamol j’ai réussi à prendre le bus pour retourner à Potosi.

 

Jeudi 30 janvier 2020 – Nuit dans le bus pour La Paz (3 800 m d’altitude)

 

A 5 h du matin, le bus dépose tous ses passagers sur un boulevard mouillé de pluie. Remettre les vélos en état de rouler, défaire les sacs, raccrocher les sacoches en pleine nuit sur un trottoir… L’arrivée à La Paz n’est pas des plus agréables après une nuit blanche. Nous attendons que le jour se lève dans le hall de la gare routière, en plein courant d’air. Nous sommes gelés. Les autres voyageurs sont chargés de ballots de couvertures quand ils ne les ont pas sur le dos. Que rajoutent-ils donc pour se protéger du froid en plein hiver ?

La ville de La Paz (2 millions d’habitants en comptant toute l’agglomération), la capitale la plus haute du monde (entre 3 600 et 4 100 m d’altitude) n’est vraiment pas faite pour le cyclisme. Nous poussons les vélos pendant une heure pour faire le tour des quelques hôtels repérés.

 

La ville semble avoir été construite dans un trou puis avoir grimpé les collines abruptes qui la surplombent. Ce n’est qu’un empilement de cubes de briques pratiquement sans aucun arbre. Dans les ruelles étroites et pentues, comme à Potosi, la pollution est dense, provoquée par les nombreux collectivos et bus hors d’âge qui s’y agglutinent.

Sur la façade de l’église St François d’Assise les pigeons ont élu domicile. St François parlait aux oiseaux qui le bénissent en retour.

Rien ne nous retient dans cette ville dont nous avons envie de nous échapper au plus vite. J’y suis d’ailleurs à nouveau malade.

Ces dix jours passés en ville, depuis notre arrivée à Potosi et notre passage à Sucre m’ont été extrêmement pénibles. Quelle vie pour cette humanité grouillante, s’asphyxiant avec ses propres (propres ?) déjections, confinée dans des trous sans espace, sans espoir ?

Mais comment sortir de ce trou ?

 

Des téléphériques tout neufs et modernes vous transportent par la voie des airs jusqu’à El Alto, l’agglomération de banlieue 500 mètres au-dessus du centre de la capitale. 

Cela vaut la peine de s’offrir cette promenade aérienne et nous en avons profité pour étudier comment mettre nos vélos couchés dans les cabines. Sans les bagages, sans doute serait-ce possible. Mais avec tout notre chargement, nos biclous ne sont plus assez maniables pour entrer et surtout ressortir des cabines qui ne font que ralentir aux stations, la noria ne devant pas s’arrêter. Pas sûr d’ailleurs qu’on nous en autorise l’accès.

Reste donc plus qu’à pédaler.

Le dimanche étant notre jour préféré pour quitter les mégalopoles nous avons donc enfourché les vélos dès 7 h du matin. Le brouillard cachait le sommet des collines, notre but. 500 mètres de dénivelé en 13 km sur une autoroute non interdite aux vélos, bien que nous n’en voyions pas d’autres. En revanche nous serons croisés – et même doublés – par des gars qui font leur footing du dimanche matin. Ah ! Les plaisirs du sport en pleine nature !

 

J’étais partie pleine d’appréhension après les malaises de la veille. Mais, dopée aux granulés de Coca (9ch) et en faisant de nombreuses et courtes pauses, je l’ai eu sans trop de difficultés cette côte. D’où l’art du pessimisme qui permet d’avoir de belles surprises. 2h30 mn tout de même – arrêts compris- pour arriver en haut contre dix minutes en téléphérique. Le dimanche n’était peut-être pas le meilleur jour pour quitter La Paz car en haut, dans le quartier de El Alto (900 000 habitants) c’est jour de grand marché. Et nous nous sommes retrouvés dans un gigantesque embouteillage, une cohue indescriptible de minibus bondés, des centaines, peut-être un millier. 

Quand nous avons pu enfin nous extirper de ce chaos ce fut pour rouler sur une grande route en faux plat descendant. Quel bonheur ! Ça roule ! Cela faisait dix jours que nous nous asphyxions au CO2.

 Des vendeuses de rafraichissements vont de minibus en taxis collectifs

Encore 15 km pour quitter l’agglomération qui n’en finit pas de s’étirer en alignements de bâtiments de briques non finis, et puis nous nous sommes retrouvés sur un vaste plateau. A midi, sous un pont, nous mettons les vêtements de pluie et continuons à filer, vent dans le dos, sous l’orage. Une pluie glacée, un peu de grêle. Un coup d’œil sur les sommets à droite : « Oh ! Oh ! La neige n’est pas loin ! » Mes yeux reviennent devant moi : « Mince ! Il y a de la neige sur la route ! ». On y va tranquillo-tranquillo. C’est juste un mauvais passage et ensuite la pluie simplement. En cette saison des pluies les orages se déclenchent chaque après-midi et en soirée.

 

A l’entrée de Huarina nous trouvons une chambre basique, draps et taies d’oreiller pas changés depuis plusieurs passages – ce n’est pas trop la mode les draps propres dans la région- mais avec une superbe vue sur le lac Titicaca.

Il faut que je me le répète : « je suis au bord du lac Titicaca ! » C’est un vieux rêve de môme ce lac ! Avec un nom pareil, ça paraissait même une blague ! Eh bien il est là, devant notre fenêtre, avec ses îles et ses mouettes, les mêmes qu’à Cabourg mais à 3 800 m d’altitude.

Nous avions prévu de couper en deux le trajet jusqu’à Copacabana et de coucher à San Pedro de Tiquina, là où il faut emprunter un bac pour traverser le chenal qui sépare le petit Titicaca du grand. La route a d’abord longé le lac puis nous avons  grimpé à 4 000 m sous une petite pluie. Des hameaux sont installés dans les vallons, entourés de petits champs de fèves et de pommes de terre.  

Puis c’est la descente sur Tiquina et c’est vraiment surprenant ces deux villages au bord de l’eau, une église toute blanche au pied d’une montagne striée d’anciennes terrasses. Un ilot rocheux jaillit de l’eau. Des bois d’eucalyptus jusqu’à … la mer ! Mais oui, c’est bien comme la mer à 3 800 m d’altitude. D’ailleurs L’Armada Bolivienne y a ses bateaux de guerre.

Nous traversons le chenal sur une barge de fortune. Le col suivant, à 4 300 m, nous voulons nous le réserver pour demain.

 

On devrait pouvoir trouver à se loger, il y a quatre « alejiomento », mot qui pourrait se traduire par « chambres chez l’habitant ». Chez le premier, c’est fermé. Le deuxième nous montre, à regret d’ailleurs trop passionné par son écran de téléphone, une piaule. « Où sont les banos ? » - « No bano » - « Quoi, no bano ? Et où tu vas pisser ? » Vous remarquerez au passage que je me débrouille de mieux en mieux en Espagnol. « No bano ». Nous comprenons maintenant la cause de la terrible odeur d’urine dans la rue. Chez le troisième, une gamine nous montre une piaule (j’entends par là un lit entouré de quatre murs dans une pièce sans fenêtre) et un WC dans la cour. « Et pour se laver ? » Un robinet dans la cour. Nous sommes prêts à accepter l’inconfort, mais certes pas pour le prix demandé par la matrone soudain apparue. Enfin la quatrième propriétaire, énorme, nous envoie visiter des chambres à l’étage, WC au rez-de-chaussée. Les lits ont tous été occupés, couvertures et draps défaits. « Combien ? » Le prix d’un hôtel à La Paz ! Impossible de discuter. « Mais ce n’est pas propre ! » - « Non », elle en convient. Eh bien qu’ils restent tous dans leur crasse et leur somnolence. Non seulement ils perdent deux pensionnaires mais aussi le repas que nous aurions pris dans leur boui-boui. En plus ils nous ont fait perdre notre temps. Il est trop tard maintenant pour reprendre la route et monter le col. C’est donc en taxi que nous ferons le trajet dans un paysage de montagnes désertiques impressionnant, le lac d’un côté, le lac de l’autre. Et la descente sur Copacabana finit de nous faire regretter de ne pas l’avoir fait à vélo. Le taxi nous dépose au coin de l’hôtel Sonia. 100 Bov (14€) pour une grande et jolie chambre lumineuse, sanitaires privés et propres, une table et deux chaises, vue sur la montagne. C’est un peu à l’écart du centre-ville, mais quand nous découvrirons l’ambiance de la rue principale (live music, pizzerias, discothèques, milk-shakes et auberges de jeunesse à gogo), nous sommes ravis de ne pas avoir atterri par là. La berge du lac à Copacabana, c’est une station balnéaire moche, sans bains.

Deux fois par jour en semaine, et le dimanche toutes les deux heures, on peut faire bénir son véhicule devant l’église de Copacabana. Comme on ne le savait pas nous n’avions pas préparé nos vélos, et puis après on a eu la flemme. Dommage, mais pas grave puisque nous avons sur nous un talisman. 

La montée au calvaire n’est pas facile, mais d’en haut la vue est intéressante sur la baie de Copacabana. Ne pas confondre avec celle de Rio qui reçut son nom à la suite d’un vœu fait par un marin à Notre Dame de Copacabana sur le lac Titicaca. En fait c’est la même histoire que celle St Amadour qui, de Rocamadour, s’est retrouvé également dans une chapelle de Camaret. (Excusez la digression, mais chaque fois que je peux mettre Rocamadour dans le texte, je ne peux m’en empêcher)

Le Pérou n’est plus qu’à 10 km. Nous passerons sans doute la frontière demain.

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