Les croquis réalisés pendant notre séjour sont visibles sur lescroquisdelescampette.jimdofree.com

Le Vendredi 7 février  au matin nous entrons au Pérou par les rives du lac Titicaca.

 

 

 

Le Cantuta, fleur nationale du Pérou, qui pousse entre 3 000 et 4 000 m d’altitude

Mais d’abord une petite révision (grâce à Wikipedia) au sujet de ce lac :

Le lac Titicaca s'étend sur environ 8 562 km2, parmi lesquels 56 % correspondent au territoire péruvien et le reste à la Bolivie.

Sa longueur est de 190 kilomètres, sa largeur de 80 kilomètres.

Situé dans les Andes, à 3 812 mètres au-dessus du niveau de la mer, il a une profondeur moyenne de 107 mètres et une profondeur maximale de 327 mètres.

Plus de vingt-cinq rivières se jettent dans le lac. Le lac compte 41 îles dont certaines sont habitées.

 C'est le plus grand lac d'Amérique du Sud en volume d'eau et en longueur, mais pas en superficie. Il est aussi considéré comme le plus haut lac navigable du monde. 

C'est par ce lac qu'est née la culture aymara avant la colonisation et la christianisation. Il existe une légende en relation avec ce lac : le premier dieu Viracocha a surgi de ce lac et a créé le monde ainsi que toutes les civilisations des Andes.

Une légende locale autochtone prétend que les premiers habitants de la région avaient six doigts et s'appelaient les Uros. De nos jours, on appelle Uros ceux qui vivent sur des îles flottantes. Celles-ci sont fabriquées à partir de roseaux flottants (en fait du jonc Totora) et sont devenues une étape touristique presque « obligatoire », ce qui permet aux habitants de vivre en partie de ce tourisme.

Les Aymaras y font pousser du quinoa, plante cultivée pour ses graines riches en protéines et y élèvent des lamas. Ils traversent (ce qui n'est plus vrai depuis 2016) le lac à bord de leurs barques en totora (jonc tressé) et en profitent parfois pour faire un peu de contrebande. Les fameux bateaux en jonc totora traditionnels sont maintenant remplacés par des barques en fibre de verre ou en plastique, et à moteur, Les seuls bateaux en totora sont pour les touristes.

Je vous rappelle que nous avons longé et nous sommes baignés dans le deuxième grand lac d’altitude navigable du monde à plus de 1 600 m, le lac Issik Kül, en été 2018 lors de notre séjour au Kirghystan.

Le Pérou vit une heure en retard sur la Bolivie, ce qui fait que la nuit tombe dès 18h. Ayant appris qu’il y a à Puno une grande fête religieuse et que nous risquons d’avoir des difficultés pour nous loger, nous décidons de prendre notre temps, histoire en plus de prendre le pouls du pays.

 

A Ilave nous choisissons la chambre la plus « luxueuse» de l’hôtel Katy : au moins 25 m2 avec des grandes baies vitrées, évidemment salle d’eau privée, une table et une chaise. Il nous faut bien ça pour passer les deux jours mornes et pluvieux annoncés. J’ai demandé une chaise supplémentaire mais, même avec la meilleure volonté, personne n’a pu en trouver une autre dans tout l’établissement. Le lendemain matin c’est la surprise. Sous nos fenêtres, des stands de robes et de jupons de toutes les couleurs. Il ne fait que 11° dans la chambre aussi prenons-nous tout notre temps pour le petit déjeuner au lit et un peu de lecture. Mais dès 9 h nous n’y tenons plus. Il se passe quelque chose, allons voir.

C’est une immense foire qui s’est installée sans bruit dans toute la ville. Les stands et les étals se comptent par centaines, certains sur des tréteaux et bâchés pour être protégés de la pluie, d’autres bien pauvres, juste une toile par terre pour isoler de la chaussée boueuse un tas de fèves, quelques brassées d’herbes aromatiques. On trouve tout sur ce gigantesque marché, de l’alimentation aux outils agricoles en passant par la laine brute, les chaussures confectionnées dans de vieux pneus, les téléphones portables bien sûr, ainsi que des tambours et des trompettes. Mais le spectacle pour nous est surtout cette foule de femmes vêtues de larges jupes colorées, le baluchon de tissu rayé dans le dos et toutes coiffées de chapeaux d’où s’échappent les longues nattes terminées par des pompons de laine. Petite aparté au sujet des chapeaux : Les chapeaux melons dont les femmes péruviennes aiment se coiffer furent apportés par les Anglais pour les ouvriers. Leur croyant la tête aussi petite que leur silhouette, ils les choisirent trop étroits pour les Péruviens, mais les femmes les adoptèrent en les épinglant haut sur leurs cheveux. 

 

Nous ferons nos courses nous aussi de légumes et fruits et trouverons avec étonnement de grosses olives roses, genre Kalamata, tout à fait délicieuses. Les énormes mangues bien juteuses que nous payons 1 Sole (soit 0,27 €) font notre ordinaire quotidien. Acheté également des feuilles de coca pour nos infusions anti « soroche » ou mal des montagnes. Pour un dimanche qui s’annonçait terne, ce fut une débauche de couleurs.

 

Malgré une pluie fine pendant les vingt premiers kilomètres, la route, toute droite, nous a semblé facile, dans un paysage agréable de cultures côté lac et de douces collines verdoyantes côté montagne. Nous nous sommes arrêtés déjeuner à Chicuito d’une soupe de quinoa et d’une truite+lentilles+riz dans une cour pleine de plantes grasses en pots, le soleil ayant gagné la partie. Que c’est bon de rouler en pull ! Nous avons ensuite longé des roches rouges et puis ce fut l’entrée dans Puno. Nous pensions les festivités de la Vierge de la Candelaria terminées. Erreur ! Il y en a encore pour deux jours et nous avons mis 1 h ½ pour trouver un hôtel qui ait une chambre disponible et à un prix abordable, quoique fort cher pour le pays. Les tarifs sont, pendant ce festival, multipliés par trois. Après nous être un peu reposé il nous a fallu aller vers le centre-ville pour trouver un distributeur de billets. Et ce fut un bazar monstrueux, des rues bloquées par des parades de majorettes et autres groupes déguisés, par des foules de spectateurs, des vendeurs de rues, des stands de brochettes pas alléchantes du tout. Et ce fut encore près de deux heures à déambuler dans le bruit et la cohue pour trouver une barquette de « arroz  chauffa chez le Chiffa qui fait que cha» (riz sauté des Chinois locaux) et du pain pour notre petit déjeuner. De retour à l’hôtel, la porte de la chambre refermée, nous avons poussé un  « Ouf ! » de soulagement, heureux  d’avoir pu nous extirper de cette liesse.

 

Une fois de plus, sortir de ville ne fut pas une mince affaire avec des rues pentues entre 15 et 20 %. La route principale, la 3S, passe en haut de Puno et voitures et tuk-tuk qui arrivent du bas par ces terribles montées ont l’habitude de ne pas s’arrêter au stop d’en haut, de peur sans doute de ne pas pouvoir redémarrer.

Rue en pente pour sortir de Puno

 

La route n°3 relie Puno à Cuzco et nous devrons la suivre prochainement. Mais aujourd’hui nous l’avons quitté après 25 km pour aller visiter la péninsule rocheuse de Capachica qui s’avance dans le lac Titicaca. Et pourtant jusqu’au dernier moment le lac restera loin, les eaux étant envahies de roseaux, de ces fameux roseaux qui servent à fabriquer les iles flottantes et les fameux bateaux du lac Titicaca, aujourd’hui devenus des attractions touristiques. Nous avons roulé dans une plaine cultivée de pommes-de-terre, maïs, colza et fèves. 

Les maisons de terre rouge sont entourées du vert des pâturages. Des femmes  gardent des petits troupeaux de moutons, quelques jolies vaches de couleur brun rosé, quelques cochons aussi. La promenade, ensoleillée et par une belle lumière, aurait pu être agréable si nous n’avions pas eu un bon vent de face tout du long. A Capachica il faut obliquer à droite et il reste encore 15 km pour atteindre Lachon, tout au bout de la presqu’ile. C’est alors que le paysage change et les pentes herbeuses des montagnes rondes feraient presque croire à des alpages. On longe maintenant vraiment la rive du lac et quelques barques y sont amarrées. 

Des maisons d’hôtes se sont regroupées en une coopérative à cette extrémité de la presqu’ile, mais bien peu ont l’air ouvertes, ni même habitées à cette saison. Pourtant nous étions fourbus et l’après-midi touchait à sa fin quand nous avons abordé un jeune devant un portail. « Vous connaissez un endroit où loger par ici ? » - « Oui. Ici même. C’est la Casa Valentin qui appartient à mes parents ». Nous l’avons suivi sur un chemin qui mène au lac, puis par une pente gazonnée jusqu’à un groupe de bâtiments en adobe. Des chambres confortables, avec salle d’eau privée, une salle à manger avec vue sur le lac dans laquelle dessinait à notre arrivée un couple de jeunes Français, Margo et Eric, un alpaga pour brouter la pelouse, l’appel d’un âne, des fleurs … Une nuit ne suffira pas dans ces lieux de silence. Nous y resterons trois jours.

La Casa Valentin à Lachon

Réveillés au petit jour par le braiement de l’âne. Ils sont nombreux dans le village. Il a encore plu à torrents toute la nuit. Le ciel est triste et quelques gouttes pianotent encore sur notre toit de tôle. Nous flemmardons sous les lourdes couvertures. Dans le pré sous notre fenêtre cavalent des cochons d’Inde appelés cuy (prononcer couille). Un cuy (couille) à la broche ou en ragoût  est un met de choix au Pérou.

Plaisir de marcher dans les sentes qui traversent le village et se perdent dans les cultures, sur la rive où les champs de pommes de terre en fleurs font des tapis de couleurs. Temps calme, soleil, dessins. 

Et puis dans l’après-midi le vent s’est levé. Par la baie vitrée de la salle à manger de la Casa Valentin nous observons le ciel se charger, les montagnes noircir, l’eau devenir grise.

Dans cette maison de terre ne serions-nous pas dans une Irlande d’autrefois, du côté de Dingle ? Non, car arrive une femme en large jupe et gilet coloré et coiffée d’un curieux chapeau. Les femmes du coin portent un chapeau plat rouge et jaune à quatre pointes et garni de pompons. L’homme de la maison, Valentin, ne quitte pas son bonnet de laine péruvien couvrant les oreilles, même pour nous servir le dîner. Il a l’air d’un pauvre paysan et est pourtant propriétaire d’une maison d’hôtes de dix chambres – pleines à la saison sèche en juillet et août – et construit juste à côté une maison encore plus grande. Les tarifs appliqués sont plus élevés qu’ailleurs et il possède quelques champs. Nous sommes dans une famille qui apparemment gagne bien sa vie. Et pourtant nul confort ni décoration superflus dans leur intérieur. C’est la première fois que nous sommes dans des pays où il n’y a pas de foyer. Il fait froid mais aucun brasero autour duquel la famille peut trouver à partager un peu de chaleur. Nous voyons les parents et leur fils manger la soupe le manteau sur le dos – une couverture sur les épaules pour la femme-, bonnet de laine sur la tête, dans une pièce où il fait entre 11 et 13°. En juillet-août la température se rapproche de 0°. Ces habitations glaciales, ce manque de chaleur pour se réunir est vraiment trop triste. Ah parlez-moi d’un bon feu de cheminée !

A 7 h il tombait encore des cordes. A 9 h aussi. A 10 h la pluie semble vouloir se calmer. Après bien des tergiversations nous décidons de reprendre la route, la même que celle par laquelle nous sommes arrivés dans la péninsule de Cachipalaca pendant 30 km. Ensuite il nous faut tourner à droite, vers les sommets noirs d’orage. On nous avait prévenus. Juliaca c’est laid, sale, glauque et il faut se méfier des voleurs. L’arrivée en ville n’est en effet pas terrible. Quelques kilomètres avant les bords de route sont déjà jonchés d’ordures. Puis le bitume s’arrête et nous roulons sur une piste défoncée, inondée, boueuse, casse-gueule.

En construction la route ? Des témoignages d’amis passés par là voici six ans attestent qu’elle était déjà dans cet état. Nous choisissons un hôtel 3* - à la mode du pays- c’est-à-dire une serviette pour deux, douche à peine tiède et chambre glaciale – mais confortable tout de même et surtout avec un garage fermé pour les vélos. A peine le temps de se faire un café et c’est un déluge qui s’abat sur la ville et les rues déjà bien transformées en bourbier. Bien contents d’être à l’abri.

 

Il pleut. La température tombe à 9°. Il semble bien que la journée doive être froide et humide et pourtant le soleil gagnera cette fois encore la partie, aidé par un vent frisquet que nous avons bien évidemment de face. 

La route suit la rivière et la voie ferrée à travers un très beau plateau marécageux et  borné de montagnes rondes verdoyantes. Daniel se souvient avoir pris le train de Cuzco à Puno en 1975 pour 3 Francs 6 Sous, avec les autochtones. Le train s’arrêtait partout et à chaque station des vendeurs proposaient de la nourriture et des fruits par les fenêtres des wagons. C’est ce que nous avons vécu aussi au Myanmar il y a une dizaine d’années. La ligne a été rachetée par une filiale de l’Orient Express, les wagons sont devenus plus luxueux et il en coûte désormais de 200 à 450 US$ pour parcourir en une dizaine d’heures les 370 km qui séparent Cuzco de Puno. D’ailleurs il est quasiment vide ce train, nous avons pu le constater en le voyant passer de la route.

Nous sommes arrivés à Pucara en début d’après-midi, y avons déjeuné d’une assiette de riz et d’une sorte de beignet de potiron au fromage – pas mauvais ma foi – et pris une chambre dans l’unique hôtel, pas chère certes mais pas très propre non plus. 

Le village de Pucara

 

Pucara est un gros village sur cet altiplano, adossé à un massif rocheux, à l’endroit où s’étaient installés des habitants pré-incas il y a bien longtemps, comme l’attestent quelques restes. Son énorme église en grosses pierres blondes construite par les Jésuites domine le village et ponctue le plateau.
En nous promenant nous avons croisé le seul autre touriste étranger qui se promène dans le bourg. Et puis nous nous sommes retrouvés le soir au restaurant. Pablo est Italien. Il suit à peu près la même route que nous sur son vélo en bois d’olivier, fabrication maison. Nous avons bien évidemment plein de choses à nous dire et le monde entier est passé virtuellement sous nos roues.

Pablo et son vélo en bois d’olivier

 

Le ciel est dégagé. Nous sommes prêts dès 8 h du matin malgré la fraicheur. A 10 h nous avons déjà parcouru plus de 30 km et entrons dans la petite ville d’Ayviri à la recherche d’un deuxième petit déjeuner. Ce sera – encore ! -poulet+riz+petits pois. En sortant du restaurant nous avons la surprise de voir arriver notre nouvel ami sur son vélo en bois. Nous roulerons de concert pour la suite de l’étape.

Le paysage est vraiment de toute beauté. Des troupeaux de lamas paissent au pied des montagnes gazonnées. Pourtant nous ne nous attardons pas et forçons sur les pédales.

 Le ciel est d’encre devant, gris sombre derrière et à gauche tandis que les éclairs se succèdent à droite. Nous aurons la chance de ne recevoir la pluie que 5 ou 6 km avant Santa Rosa, une pluie dure et glacée. L’hôtel repéré est vite trouvé, en plein centre bourg, et nous y sommes gentiment accueillis.
Entouré de hautes montagnes ce bourg est assez plaisant et propre. Comme quasiment partout le dimanche y est jour de grand marché et malgré le froid – mon thermomètre affiche 10° dans la rue comme dans la chambre- les femmes sont assises au milieu de leurs marchandises, à même le sol, emmaillotées dans des couvertures. Nous faisons un tour sur la place centrale, visitons l’église, achetons pains et bananes pour la route du lendemain et rentrons essayer de nous réchauffer sous un duvet.

Une rue de Santa Rosa une fois le soleil revenu

 

Il nous faudra passer un col à 4 338 m, sans grande difficulté. Nous n'étions jamais monté si haut à vélo.

 Puis ce sera la descente dans la riante vallée cultivée du rio Vilcanota, le tout sous le soleil.

Au coin d’une rue de Sicuani nous perdons notre ami Pablo. Le reverrons-nous un jour ?

 

Nous nous arrêtons le lendemain après avoir fait 16 km seulement à San Pedro, village proche du site inca de Raqchi où nous nous rendons ensuite en microbus. 

Le village de San Pedro

 

Les quelques grands pans de murs en grosses pierres et adobe du temple de Viracocha (créateur du monde des Andins) sont impressionnants avec leur couleur rose sur fond de montagnes vertes.

 Le site est vaste et toujours cultivé. Nous avons aimé nous promener dans ce grand jardin sous une petite pluie fine. Un groupe d’enseignants péruviens en visite nous invite à partager leur pique-nique : plusieurs sortes de pommes de terre, maïs et fromage, la même nourriture peut-être qu’au temps de l’ancien culte.

Nous descendons toujours en altitude – non sans bonnes petites côtes tout de même – le long de la rivière qui charrie ses flots de boue à vive allure. La vallée est parfois encadrée par de véritables murailles vertes hautes de 2 000 mètres.

Les pentes sont de plus en plus boisées, uniquement d’eucalyptus, puis apparaissent des genets en fleurs, des arbres fruitiers, des roses trémières et des canas dans un jardin,  et enfin ce sont des petits perroquets verts qui crient au-dessus de nos têtes. Nous enlevons vestes et gilets avec plaisir. Nous ne sommes plus qu’à 3 500 m d’altitude et la respiration devient plus facile.

 

Tout près d’Urcos, trois belles églises décorées de fresques et situées dans des villages aux vieilles maisons basses dans ce décor de hautes montagnes nous ont arrêtées dès le début de la matinée. 

A Andahuaylillas nous prenons le temps de flâner dans les vieilles rues, sortons les carnets de croquis et alors il est bien tard pour reprendre la route.  Nous déjeunons d’une assiette de légumes. Le repas n’est pas très copieux mais le moins que l’on puisse dire c’est que le lieu est atypique. Nous ne sommes pas vraiment sûrs d’être dans un restaurant.

 

Dans l’hôtel où nous avons trouvé une jolie chambre sur la place centrale nous serons tout seuls et aux premières loges pour assister à l’enterrement de Carêmentrant comme on l’appellerait en Provence. Mais le carême ne devrait pas poser de problème aux Péruviens puisqu’il est bien connu que le poulet n’est pas de la viande. C'est le signal du début des festivités carnavalesques qui vont se succéder jusqu'à fin février dans tout le pays.

Nous voici à la porte de Cuzco qui devrait nous retenir quelque temps.


C’est à toi de trouver l’itinéraire de ton voyage : il aura l’amplitude de ton désir. »

(Her-back disciple, Schwaller de Lubicz)

Article rédigé le 6 mars 2020 à Cuzco

Parking à tricycles

Nous avons quitté la grande route de Cuzco pour continuer à suivre le rio Vilcanota qui, entré dans une étroite vallée, se transforme en un torrent furieux.

Petit rio deviendra grand puisque, grossi par d’autres affluents, il deviendra la grande, l’immense Amazone. Mais pour l’instant nous le suivons dans une belle vallée encaissée, quasiment tout seuls. 

 

Les pluies de ces derniers jours ont provoqué des éboulements et de grosses roches sont tombées sur la route. Une coulée de boue a également provoqué la fermeture du site Inca de Pisac. Nous l’apprendrons en arrivant. 

Pisac est construit dans la vallée, à l’endroit où elle s’élargit. Les terrains non bâtis sont entièrement voués à la culture du maïs. Nous voici dans une cité qui ne vit que du tourisme. Hôtels, restaurants, magasins bio et boutiques d’artisanat industriel sont à touche-touche. La grande place est à tel point envahie par les stands de babioles qu’on n’en voit plus les bâtiments. 

 

Tout le long des ruelles du quartier haut, ce ne sont encore que des étals de babioles, toujours les mêmes. Les affaires doivent être difficiles puisque, le site archéologique étant fermé, aucun bus de touristes ne s’arrête plus à Pisac. 

 

Un escalier inca pour rentrer chez soi

Le Pérou est un des premiers producteurs mondiaux de cacao et de café organiques. Aussi, après une promenade aux alentours du village, sommes-nous allés dans un salon de thé un peu cosy, uniquement fréquenté par les étrangers, boire un chocolat au lait de coco avec vue sur un jardin exubérant. Il est quasiment plus facile de trouver en magasin de la pâte pure de cacao à faire fondre dans du lait chaud que des tablettes à croquer. Quant au café il est servi très concentré dans une minuscule jatte et chaque consommateur le prépare à son goût en ajoutant de l’eau bouillante. Pris plaisir à croquer quelques scènes sur le marché.

Pablo, notre copain avec son vélo en bois d’olivier et perdu au détour d’une rue (vous vous souvenez ?), nous a fait la surprise d’une visite à notre hôtel lundi matin. Il avait entendu dire que le site inca de Pisac allait rouvrir. Fausse rumeur. Il a donc repris la route. Pour nous occuper nous sommes allés en microbus au sanctuaire d’animaux de Cochahuasi à une dizaine de kilomètres en direction de Cuzco. Une association récupère des animaux maltraités ou illicitement capturés, principalement des lamas, des alpagas, des vigognes, mais aussi un puma, des chats sauvages et deux ours. Et surtout on peut y voir de tout près, de très près, des condors, ces seigneurs des cieux qui sont là pour se reproduire avant d’aller repeupler le territoire péruvien d’où ils ont presque totalement disparu. Ces énormes oiseaux, charognards qui ne se nourrissent que de bêtes mortes, mesurent 3,50 m toutes ailes déployées (le plus grand oiseau du monde étant l’albatros avec ses 4 m d’envergure), pèsent entre 10 et 15 kg et peuvent vivre 75 ans. Nous en avions vu planer au-dessus des gorges en Argentine, mais d’être si prêt d’eux fut un grand moment.

Cette route toute plate dans la vallée qui se resserre peu à peu est comme une belle promenade, sous le soleil qui est plus est.
Hélas nous arrivons à Olantaytambo avec les premières gouttes de pluie. Les 500 derniers mètres sont pavés très irrégulièrement de gros galets espacés et monter jusqu’au village en poussant les vélos n’est pas une partie de plaisir. En redescendre trois jours plus tard ne vaudra guère mieux.

On sent rapidement les signes d’une grosse affluence touristique ici. Des dizaines d’hôtels, de restaurants, des salons de massages thaïs et des cours de yoga… Mais la beauté des lieux – et la proximité du Machu Pichu- en sont la cause. Or nous sommes en basse saison. Profitons donc des lieux. 

Situé à un carrefour venté de deux vallées étroites le bourg s’est entièrement construit sur les bases de celui de l’époque inca. Un torrent impétueux déboule de la montagne pour se jeter dans le rio Vilcanota qui ici a pris le nom de rio Urubamba. Les bâtisses reposent sur des soubassements composés d’énormes blocs de pierres taillés.

Les ruelles étroites sont tirées au cordeau et pavées des galets de la rivière. De tous côtés les sommets montent à plus de 5 000 mètres d’altitude si bien que dès 16h30 le soleil disparait. Le village est coquettement entretenu, fleuri et décoré.

 Le train qui mène au Machu Pichu s’arrête au bas du village. Mais ne vous attendez pas à ce que nous vous racontions notre visite du Machu Pichu. Nous n’irons pas participer à cette foire, à ce tourisme industriel.  La journée au Machu Pichu, en marchant à la queue leu-leu, sans pouvoir faire demi-tour pour revoir un point de vue, bref au milieu d’un millier de personnes qui se prennent en photo 25 fois la minute, coûte au bas mot 100 US$ par tête de pipe (car ici on n’annonce les prix qu’en US£). Deux millions de visiteurs par an, cela fait une moyenne de 5 479,45 par jour. Or, Daniel a visité ce site à une époque où il n'y avait pas plu de 100 personnes à la fois et où l'on pouvait s'y promener à son aise. D’ailleurs le Pérou a tendance à prendre les touristes pour des dollars sur pattes. Pour visiter le moindre petit musée, la moindre église, il nous en coûte à deux quasiment le prix d’une nuit d’hôtel. C’est un peu comme si on vous demandait 25 € par personne pour visiter l’église de Rocamadour.
Bref, on peut très bien visiter la France sans aller au Mont St Michel.

 

Vous connaissez Rocamadour ? Non ?

Nous logeons à Olantaytambo dans un hôtel avec un jardin dont nous ne profitons pas avec ce temps pluvieux. La chambre nous a plu avec ses murs blancs et son balcon bleu grec donnant sur un datura aux énormes fleurs. De là nous avons également la vue sur le site archéologique étagé sur un pan de montagne, et plus loin sur un piton rocheux qui doit approcher les 6 000 m. Nous y sommes restés quatre nuits. Les promenades ne manquent pas, que ce soit dans les ruelles typiques, à flanc de montagne de l’autre côté de la rivière jusqu’au hameau de Cachiquata, sur la montagne côté Est jusqu’aux anciens bâtiments de surveillance de la vallée,  le long du torrent par un sentier certes un peu boueux, ou enfin dans le site archéologique étagé à flanc de colline, avec ses murs de blocs taillés énormes ajustés au millimètres près – on n’ y passerait pas une lime à ongles.

Mais maintenant que nous avons payé notre pass touristique valable dix jours pour visiter une dizaine de sites ou musées, il nous faut reprendre la route.

Nous faisons donc demi-tour jusqu’à Urubamba où nous décidons de nous arrêter une nuit (nous y resterons deux nuits en fait). Un dénivelé de plus de 1 000 m nous attend sur la route de Cuzco et nous préférons le garder un autre jour.

 

Il a plu finement toute la matinée et des orages sont annoncés pour l’après-midi mais nous décidons d’aller tout de même jusqu’aux salines de Maras. Un taxi collectif pour monter sur la route de Cuzco - et avoir un aperçu de ce qui nous attend à vélo- puis un taxi privé pour traverser un superbe plateau cultivé. A l’entrée du site, on nous annonce que la route des salines est barrée par un éboulement depuis la veille au soir. Nous devrons nous arrêter au mirador d’où l’on découvre tout de même la totalité des 3 900 bassins aménagés sur le cours d’une rivière salée, à 3 000 m d’altitude. Spectacle impressionnant et étrange cette mosaïque de différents tons de rose dans une faille.

Du point de vue on voit en effet la route obstruée par les roches et un engin en train de déblayer. Des camping-caristes qui avaient dû trouver l’endroit idyllique pour passer la nuit se sont retrouvés coincés sur le parking des salines et attendent qu’on leur ouvre un passage. Il y a décidément beaucoup d’éboulements, de glissements de terrains (un village de 300 maisons a été emporté par la boue dans la région du Machu Pichu), de roches tombées sur les routes et nous apprenons que cet hiver (ou plutôt cet été puisque nous sommes au Sud de l’Equateur) est exceptionnellement pluvieux. Il me semble avoir entendu le même langage l’hiver précédent en Turquie.

 

A 30 km d’Urubamba, mais près de 1 000 m plus haut, est situé, sur un vaste plateau, le village de Chinchero. Le vieux village, sur une colline, est bâti sur l’emplacement d’un bourg précolombien et l’église est quasiment à l’emplacement de l’ancien temple. L’intérieur de l’église est entièrement décoré de fresques mais on ne nous y laissera pas entrer « pour cause d’infiltrations d’eau ». Pourtant, à l’heure de la messe, les villageois s’y presseront. Le bedeau n’aime sans doute pas les étrangers, ce qui ne l’empêche pas de nous brandir sa tirelire à aumônes sous le nez.

Cette église est sur un promontoire, toute blanche au fond d’une grande place, et derrière, le long de la pente qui plonge dans un vallon, les Incas ont ici encore aménagé des terrasses de cultures soutenues par de robustes murs.

Un chemin mène dans le fond du vallon et l’on marche dans une grande paix en bordure de petits champs, bientôt fermés par de grands eucalyptus. Une montagne austère bloque la vue et les nuages plongent dans le ravin. Tout n’est que verdure, fleurs, roches et eaux courantes. L’ambiance est druidique, humide et fraiche, très fraiche.

 

Ce 1er mars est jour de carnaval à Chinchero. Et en remontant vers l’église nous avons assisté à une joyeuse farandole spontanée de villageois en tenues traditionnelles.

Les marchandes d’artisanats dans le quartier haut s’ennuient et ne font pas fortune ce dimanche car tout se passe plus bas où des gradins entourent une arène improvisée dans laquelle se produisent des groupes de danseurs déguisés, au son d’une sono tonitruante et des vociférations d’un animateur nuisible. Du côté des stands de nourriture, trop de monde également. Dans les rues la foule se presse et les galopins s’amusent à bomber les passants de mousse  ou bien à lancer des petits ballons gonflables remplis d’eau qui éclatent en touchant leur cible.

 Ne trouvant pas une table libre dans les restaurants locaux, nous avons repris un bus pour descendre déjeuner à Urubamba, ravis de notre matinée. Et, sur la route du retour, le ciel s’est déchiré et est apparu un superbe glacier, très haut, juste au-dessus d’Urubamba. Quelle beauté cette langue de glace descendue des nuages et étincelant au soleil ! Dommage que la bande son n’est pas correspondu à notre état d’âme. La radio était diffusée à son niveau maximum dans le bus.

 

 

Il a bien fallu attaqué cette rampe et si elle nous avait paru terrifiante les jours précédents en bus, finalement, à petits coups de pédales, ça se fait sans trop de difficultés. Tout de même en arrivant à l’embranchement de la route de Maras, après avoir grimpé une dizaine de kilomètres, nous n’étions pas bien sûrs de vouloir monter encore 15 km comme prévu. Carte et GPS en mains nous nous sommes posé des questions. – « Si on passait par Maras et la lagune Huaypo ? » -« ça parait moins raide en effet » - « Et puis il y aurait moins de circulation » - « Et ça ne parait pas plus long… » Bref, c’est décidé, on bifurque. Mais ce que nous ne savions pas c’est que le bitume disparaitrait bientôt, qu’il allait falloir continuer à monter quand même sur une piste complètement défoncée, en choisissant ses trous à chaque tour de roues, que cette piste allait être coupée et que nous arriverions à Anta par un simple chemin de terre aux ornières de tracteurs et flaques de boue. 

Photo prise alors que la piste était encore tout à fait bonne (ça se voit). Ensuite ça s’est corsé et nous n’avions franchement plus le temps de prendre des photos

 

Heureusement il n’a pas plu de la journée car il nous a fallu huit heures, pause déjeuné comprise, pour parcourir 37 km à une vitesse moyenne de 6 km/h ! Je dois cependant reconnaitre que le paysage fut superbe, la lumière limpide et en prime le glacier entrevu la veille s’est montré dans des conditions idéales – avec une bande son adéquate, c’est-à-dire le chant des oiseaux et le murmure des ruisseaux. 

Et puis nous sommes tombés au milieu de nulle part sur un restaurant familiale où nous fut servi un repas peut-être un peu bourratif mais en tous cas apprécié par des cyclistes affamés.

L’arrivée dans Cuzco a été pénible. Après une bonne côte sur 10 km nous nous sommes retrouvés dans des rues très pentues, puis de plus en plus raides mais  pavées de galets glissants si bien qu’il était extrêmement difficile, bien que descendu de vélo, de le retenir dans la descente.

Puis il a fallu remonter jusqu’à l’église San Christobal sans jamais réussir à trouver les deux hôtels conseillés et repérés. Alors nous avons repris une rue en galets et avons débouché sur la grande place de Cuzco, claqués et sans courage pour continuer les recherches d’hébergement.

Non pas qu’il n’y ait pas assez d’hôtels à Cuzco, mais les trois, quatre et cinq étoiles sont plus nombreux que les simples auberges. Les rues du centre sont étroites et pavées de galets et le flux de circulation rend quasiment impossible de pousser un vélo sur la chaussée. Quant aux trottoirs ils sont si étroits que deux piétons ne s’y croisent pas. Nous avons mis deux heures à trouver une chambre correcte, facile d’accès à vélos et avec un endroit pour les garer en toute sécurité -  et dans nos prix.

 

En fin d’après-midi, un peu reposés, nous sommes ressortis faire un tour. Les églises sont nombreuses – et toutes payantes pour l’étranger, chrétien ou non -, les bâtiments blancs à un seul étage, possèdent des balcons de bois peints et ouvragés. La couleur bleue domine sur les huisseries et boiseries. C’est assez pittoresque mais très touristique. Difficile de trouver un petit restaurant local. Ils ont tous été transformé en snacks, pizzerias, cafés ou restaurants « gastronomiques » qui servent exactement les mêmes plats mais trois fois plus chers que dans le quartier plus populaire du marché.

Le site de Sacsahuayman n’est qu’à 2 km du centre-ville et nous y sommes allés à pied par les ruelles et les escaliers. Ce site est surtout connu pour ses remparts de titans construits avec des blocs de pierres qui font paraitre bien minus nos mégalithes celtes. Les lieux sont vastes et agréables, on s’y promène dans une grande prairie ainsi que jusqu’à un mirador qui domine toute la ville.

Pour l’occasion, nous passions une partie d’un après-midi pluvieux à visionner sur internet, avec plaisir et amusement, Tintin et le Temple du Soleil. Nous sommes restés trois jours pleins à Cuzco, à marcher dans les ruelles, de places en fontaines, faire quelques croquis, visiter les musées qui ne nous ont pas parus très intéressants, excepté le musée d’art précolombien qui possède une très belle collection. 

Découverte également de la galerie de Maximo Laura, un tapissier qui sait, à partir des mythes péruviens, créer des œuvres d’art contemporain d’une grande beauté. Les couleurs, les matières autant que les sujets de ces immenses tapisseries nous ont profondément touchés. (www.museomaximolaura.com)

Nous allons maintenant nous diriger vers Arequipa où nous trouverons sans doute le soleil et la chaleur.

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Article rédigé à Atico sur la côte pacifique Sud du Pérou le 20 mars 2020

 

 

 

Nous vous avions donc laissés à Cuzco d’où nous voulions rallier Arequipa.

Ce n’est pas difficile pour sortir de Cuzco. C’est tout droit par l’avenue de la Culture et tout en descente. Vers 14 h nous atteignons Andahuaylillas  où nous avions passé deux nuits voici deux semaines. Nous déjeunons dans la même pension et s’il était question un peu plus tôt d’y finir la journée, Dany n’est plus trop décidé. Le ciel est bien dégagé, il fait exceptionnellement beau, si nous avancions encore un peu. Mais voilà, la route commence à monter et je n’avance pas. A Huara nous ne trouvons pas l’hôtel. A Urgos, une estrade est dressée sur la place centrale avec d’énormes enceintes, juste au coin de l’hôtel. Fuyons. La route est vallonnée, remontant le courant du rio Vilcanota que nous avons retrouvé, toujours aussi boueux. A l’embranchement qui mène à une bourgade je demande à un homme s’il y a un hôtel par là. « Non, plus loin, à 20 minutes » - « 20 minutes à pied, en voiture, à vélo ? » - « 20 minutes ! » Je suis repartie en me disant une fois de plus que les gens ne parlent plus en distance mais en temps et 20 minutes plus tard exactement nous sommes entrés dans Quiquijana.

 

Dans la rue principale nous faisons la rencontre de deux autres cylos-voyageurs. « Français ? J’en étais sûr ! Il n’y a que les Français qui roulent sur des engins comme les vôtres ». C’est un Canadien qui nous aborde. Il est sur les routes depuis quatre ans et vient tout juste de rencontrer un Japonais content comme tout d’apprendre que nous connaissons Shikoku. Ils vont se chercher un coin de bivouac alors que nous préférons un toit sur notre tête.

Il y a ici trois hôtels – tous fermés – et trois hospedaje dont une qui n’a pas de chambre et une autre qui n’en a qu’une mais sans TV donc impossible à louer. Sur mes instances la jeune patronne, finit par me montrer la pièce. Ça ne la gêne pas de nous louer   un lit de 90 aux draps sales pour deux personnes, WC dans la cour, pas de douche, mais sans TV, ce n’est pas possible ! Ce sont finalement les flics qui nous amènent à la troisième hospedaje. Pour accéder aux chambres il faut traverser un petit magasin de vêtements, puis une cour où nos vélos trouvent leur place. Il faut ensuite monter un escalier digne des Incas. Une très grande pièce, avec un lit pour deux, la TV !, une chaise, WC dans la cour, pas de douche. Par le plancher disjoint nous entendons les deux machines à coudre d’un petit atelier de confection de jupes traditionnelles brodées et la radio qui gueule un peu trop fort à mon goût. Les deux femmes travaillent dans leur minuscule boutique et dans ce vacarme continuel toute la journée sans doute. Nous nous enfermons en espérant qu’elles ne feront pas trop d’heures supplémentaires. Le lendemain  la radio nous réveillera dès 4 h du matin.

Nous avions dans l’idée de descendre vers Arequipa en passant par Espinar (Yauri) et Chivay et le canyon de la Colca. Mais renseignements pris auprès de plusieurs guichets des deux gares routières de Sicuani, aucun bus ne relie Espinar à Chivay. Or la route s’annonce trop longue et trop difficile pour nous à vélo avec un col à 4 800 m. Il ne nous reste plus qu’à prendre un bus de nuit direct pour Arequipa.

Nous y trouvons une petite pension familiale dans le centre-ville– quelques chambres et une terrasse avec vue sur les volcans.

 

Petite anecdote inquiétante peu après avoir pris possession de la chambre. Comme j'ai un peu mal à la gorge depuis deux jours, j'ai voulu prendre une potion adéquate et ... je me suis étranglée d' où une quinte de toux à n'en plus finir. Deux minutes ne s'était pas écoulées que le patron de l’hôtel venait taper à notre porte. "Vous avez un problème respiratoire ? Vous avez un problème de toux ?" Je lui ai expliqué que je m'étais étranglée et que, de plus, nous étions en Amérique du Sud depuis le mois de novembre, avant l'apparition du Coronavirus. Car ici aussi les média diffusent en boucle les scores de cas de Coronavirus dans le monde comme s’il s’agissait d’un Téléthon et répand une psychose tout à fait négative. Le monde devient fou et on va bientôt se faire embarquer par les flics pour avoir éternuer dans la rue. En attendant je tousse de plus en plus et mange mon oreiller la nuit pour ne pas me faire remarquer – et virer –de l’hôtel.

Le volcan Chachani vu de notre terrasse

 

Deux volcans couronnés de neige dominent la ville, l’écrasent même de façon inquiétante, le Chachani (endormi) du haut de ses 6 075 m et le Misti (bien actif) avec 5 825 m d’altitude. Il fait bon. Le soleil chauffe doucement. Aurions-nous, comme tout le monde nous le promettait, retrouvé le beau temps ? Non, car nous recommençons à vivre à mi-temps, les après-midi étant réservés aux orages. 

Ceci dit, déambuler dans Arequipa chaque matinée suffit amplement. Car si le cœur de la « ville blanche », bâti avec une pierre volcanique, est beau, quand on a vu la Place d’Armes et la cathédrale lourde et massive, les quelques rues alentour et le couvent Santa Catalina – qui nous a retenu tout de même plusieurs heures –, on a fait le tour. Mais je suis tout de même contente d’être venue à Arequipa. Après la relecture des « Pérégrinations d’une Paria » de Flora Tristan (l’auteur, grand-mère de Paul Gauguin, fille naturelle d’un Péruvien , relate son voyage en 1833 jusqu’au Pérou et son séjour à Arequipa pour tenter de récupérer un héritage), je voulais voir les lieux, la maison de son oncle Pio Tristan, l’homme le plus riche de la ville chez qui elle séjourna, celle de son cousin Goyeneche dans laquelle nous avons pu voir une petite collection d’objets précolombiens, et bien sûr le couvent Santa Catalina, le plus grand monastère du monde, véritable village clos au sein de la ville, où elle se réfugia avec les autres femmes de sa famille pendant l’insurrection de 1834.

La sortie d’Arequipa n’est pas une partie de plaisir. Rues et routes défoncées, nuage de pollution dû aux trop nombreux bus et camions. Nous ne reverrons même pas une dernière fois les volcans cachés derrière de lourds nuages noirs dès le matin. Lorsque nous sommes enfin sur la Panaméricaine surchargée de camions le désert, dont je me faisais une joie, n’est que carrières et décharges. Je repensais à la description de Flora Tristan lors de son arrivée sur la ville et me disais : « que notre monde est devenu laid. Il est peut-être plus facile à vivre (quoique pas pour tout le monde) mais il est devenu bien laid. » Je m’attendais, à tort, à descendre presque tout le temps mais il y eut de vrais petits cols bien raides. Ce n’est qu’au km 30 que nous avons commencé à rouler dans un paysage intéressant de montagnes roses et blanches, roches et sables.

Déjeuné à Vitor tout près d’un petit hôtel bien tentant. Il fait chaud, ce dont nous avons perdu l’habitude, et nous avons déjà 65 km dans les pattes. La jeune gérante me fait choisir une chambre, m’annonce le prix et comme je lui dis que je reviens dans cinq minutes avec mon mari et les vélos, me pose soudain la question : « de donde son ? » (d’où êtes-vous ?) Quand nous revenons quelques minutes plus tard, il n’y a plus de chambre disponible. Bizarre !

Nous avons donc entamé en pleine chaleur la longue côte pour sortir de l’oasis de Vitor, puis avons roulé avec un bon vent de ¾ sur un grand plateau de caillasse. Les appels d’air provoqués par les camions qui nous doublent nous font guidonner et l’un d’eux fera même mordre le bitume à Daniel. Et enfin, alors que le compteur nous fait croire que nous sommes presque arrivés à la ville étape, nous atteignons le bord du plateau qui s’arrête brusquement sur une faille. Il faut descendre un mur et, surtout, remonter celui d’en face.

 

Et nous voici, au terme d’une étape plutôt fatigante de 105 km, dans un gros bourg agricole animé, au milieu de champs de maïs, de prairies avec des vaches. La nuit tombée les gens sortent. Des stands de nourriture s’installent autour du marché. Nous dinons juste sous l’hôtel dans un local grand ouvert, en t-shirt. Nous avons changé de monde et de saison.

Mais quels copains nous ont dit que d’Arequipa vers la côte ça descendait tout le temps ? Ils doivent avoir eu un sacré bon vent dans le dos ! Nous avons même dû pousser à deux reprises – pas très longtemps certes. Mais la descente de 15 km pour arriver au bord du Pacifique est vertigineuse, dans un paysage désertique. 

Et alors qu’on voudrait s’arrêter là et regarder l’horizon océanique, on déboule, comme il fallait s’y attendre, sur des villages balnéaires, des baraques sordides louées aux heureux privilégiés qui peuvent s’offrir des vacances, parpaings et béton plantés dans le sable au pied de dunes qui ne manqueront pas de les engloutir un prochain jour – et on parlera de catastrophe naturelle. Bref, nous ne nous arrêterons pas avant Camana.

Nous croyons là encore arriver dans un village mais c’est une ville animée, commerçante, entourée de terres agricoles. L’ambiance est différente des villes des hauteurs. Avec toutes ces échoppes et ces étals de rues on se croirait presqu’en Asie. C’est qu’ici il fait chaud et beaucoup de choses se passent dehors. Il n’y a pourtant pas plus de ventilateurs qu’il n’y avait de chauffage dans le Nord et nous recherchons les chambres avec de grandes fenêtres pour tenter de faire courant d’air.

Des dunes de sable de plus de 300 m de haut, un plateau balayé par le vent. Nous croquons du sable. Puis descente sur Ocona, une bourgade au fond d’un vallon encaissé, menacé par deux falaises de sables et l’on comprend vite que la lutte quotidienne doit être ce sable qui s’infiltre partout. Et, entre océan et dunes, des rizières.

Cette Panaméricaine est un sacré ouvrage, traçant un passage dans le désert. A flanc de dunes et de falaises, en surplomb de l’océan toujours furibond, elle ne cesse de descendre au niveau de quelques rias irriguées par des rivières descendant des montagnes, cultivées de riz et plantées d’oliviers, pour mieux remonter abruptement. C’est ainsi qu’en 75 km nous avons eu un dénivelé de 1 600 m positif et autant de négatif. Rien pour se nourrir sur tout le trajet. Il a fallu se contenter d’une banane et d’un bout de pain. 

 

C’est fatigués, affamés et collants de sueur que nous arrivons à Atico en milieu d’après-midi. Beaucoup de monde dans la rue, des bus, des badauds qui discutent par groupes. Le premier hôtel affiche ne pas avoir de chambre, dans le deuxième la patronne fait « Non » de la tête. Dans le troisième la réponse est plus aimable. « Oui, bien sûr, nous avons une chambre » et j’apprends qu’il n’y a aucun festival au village comme je commençais à le croire mais que le Pérou entre en état d’urgence à partir de minuit et qu’alors plus personne ne pourra se déplacer dans le pays. La seule gargote ouverte va fermer et si nous voulons manger quelque chose, c’est tout de suite. Un œuf, du riz et des frites. La Thénardier double le prix. Ce repas est en fait un grand moment d’ethno d’ailleurs. Dans une minuscule salle où se bousculent trois tables et six chaises, une énAUrme bonne femme, pas aimable, sert des assiettes garnies. Pour que nous puissions nous asseoir il faut déloger un gamin de 4 ou 5 ans rivé sur l’écran de son téléphone. La télé diffuse un film idiot (pas besoin de comprendre les paroles) volume au maximum tandis qu’une autre obèse avachie sur une chaise hurle dans son téléphone. A 17h nous aurons trouvé du pain pour notre petit déjeuner et rentrons dans notre chambre. Ouf !

Détaillons un peu les lieux. Au troisième étage d’un immeuble en béton, 10 m2 meublés d’un lit, une table, une chaise et une petite salle d’eau en annexe. Pas une étagère, pas une armoire, pas une patère, pas un clou pour suspendre sa serviette mouillée.

  Cette chambre – cellule donne sur un long couloir extérieur avec vue sur la mer, par-dessus les baraques en briques et parpaings et les cours encombrées de foutoir. Au loin, une péninsule rocheuse s’avance dans l’océan, des bateaux de pêches amarrés. A l’heure du couchant, quand tout devient flou, on se croirait presqu’en Bretagne. Il va falloir rester là au minimum 15 jours.

Journal de confinement

Mardi 17 mars 2020 – Jour 1

Résumons la situation. Ce Coronavirus met le monde entier en état d’urgence. Les frontières terrestres et aériennes sont fermées. Au Pérou, comme en France, tout le monde est confiné chez soi. Interdiction de sortir, excepté pour aller acheter de la nourriture ou des médicaments. Pratiquement tous les commerces sont fermés. Seuls les camions ont le droit de rouler. Bien que n’ayant officiellement pas le droit de sortir à deux nous sommes partis ce matin à la recherche de la banque. Dans ce patelin de bord de mer qui ne compte pas moins tout de même de dix hôtels (quasiment tous fermés), il n’y a pas de distributeur de billets. A la banque, impossible de retirer de l’argent avec une carte de crédit étrangère. Je change mes derniers Euros en espérant que cette situation ne dure pas trop longtemps. Nous trouverons des tomates, des œufs, de la purée instantanée et des pâtes qui devraient nous faire tenir quelques jours, à condition que notre réchaud MSR devenu soudain capricieux (c'est bien le moment !) accepte de fonctionner dans le bac à douche.

 

Nous avons voulu découvrir les lieux de notre nouvelle résidence et sommes allés jusqu’à la plage. 

La plage ! Des tas de gravats parmi lesquels s’amoncellent les ordures jetées des baraques en hauteur. Beaucoup de vautours aux alentours.

La promenade nous a conduits jusqu’à la station d’épuration et, poursuivis par l’odeur, nous sommes revenus rapidement à notre chambre d’où nous ne sommes plus sortis. Il était midi. Sieste, lecture. Enfin une journée  passée. Le plus dur risque d’être l’inactivité physique.

Histoire de passer le temps j’ai décidé de tenir le journal du confinement. Ça risque d’être monotone, aussi je vous en fais grâce.

 

On se demande bien comment ce voyage va se terminer


Attente

Journal de confinement mis en ligne le 2 avril 2020

 

 

 

 

J’ai décidé de tenir ce journal pour que les jours ne passent pas tous semblables, sans point de repère. Aussi certains jours, il n’y aura que de petits faits sans aucune importance, comme peuvent les noter des personnes âgées vivant au ralenti. Mais comme le peintre Bonnard, nous ne mettrons pas que la météo sur notre calepin, nous y mettrons aussi des croquis.

 

Atico - Mardi 17 mars 2020 – Jour 1

Résumons la situation. Ce Coronavirus met le monde entier en état d’urgence. Les frontières terrestres et aériennes sont fermées. Au Pérou, comme en France, tout le monde est confiné chez soi. Interdiction de sortir, excepté pour aller acheter de la nourriture ou des médicaments. Pratiquement tous les commerces sont fermés. Seuls les camions ont le droit de rouler. Bien que n’ayant officiellement pas le droit de sortir à deux nous sommes partis ce matin à la recherche de la banque. Dans ce patelin de bord de mer qui ne compte pas moins tout de même de dix hôtels (quasiment tous fermés), il n’y a pas de distributeur de billets. A la banque, impossible de retirer de l’argent avec une carte de crédit étrangère. Je change mes derniers Euros en espérant que cette situation ne dure pas trop longtemps. Nous trouverons des tomates, des œufs, de la purée instantanée et des pâtes qui devraient nous faire tenir quelques jours. En passant devant la gargote de la veille, j’aperçois les deux grosses vautrées sur des chaises, des barquettes de polystyrène à leurs côtés. Elles nous vendent deux portions de poulet, riz et pommes de terre tout en nous recommandant de ne pas dire que cela vient de chez elles, parce que « prohibido ! ».

 

Nous avons voulu découvrir les lieux de notre nouvelle résidence et sommes allés jusqu’à la plage sans que personne ne nous interpelle. La plage ! Des tas de gravats parmi lesquels s’amoncellent les ordures jetées des baraques en hauteur. Beaucoup de vautours aux alentours. La promenade nous a conduits jusqu’à la station d’épuration et, poursuivis par l’odeur, nous sommes revenus rapidement à notre chambre d’où nous ne sommes plus sortis. Il était midi. Sieste, lecture, visionnement d'une Grande librairie consacrée à François Cheng. Enfin une journée  passée. Le plus dur risque d’être l’inactivité physique.

Atico -Mercredi 18 mars 2020 – Jour 2

Sortis ce matin acheter du pain et un cahier pour continuer à tenir ce journal. Rencontré trois cyclistes espagnols avec sacoches qui continuent leur voyage vers Arequipa malgré l’interdiction de se déplacer. Apparemment la police ne les a pas embêtés mais ils n’étaient guère bavards les gars. Visiblement nos questions les agaçaient. Nous avons alors commencé à envisager de repartir demain pour nous rapprocher de Nazca. Trois étapes de 90 km dans le désert tout de même. Au commissariat d’Atico on nous a répété que les déplacements étaient interdits mais que certains policiers pouvaient être compréhensifs. Cependant nous hésitons. Trouverons-nous un hébergement ? De la nourriture ? Par notre groupe de voyageurs à vélo j’apprends que des cyclos se sont faits arrêter par les flics et emmener à l’hôtel le plus proche, pas forcément le meilleur ni dans leurs prix. Pour réfléchir à tout cela nous sommes allés marcher sur la grève et regarder les oiseaux, libres, eux.

Finalement nous resterons ici. Dommage que le réchaud de camping refuse de fonctionner car les grosses qui nous ont vendu une barquette hier ont fermé boutique. Si on veut manger quelque chose d’un peu consistant, il va falloir le préparer nous-mêmes sur le réchaud dans la salle d’eau. Nos hôteliers sont bien gentils mais n’ont même pas l’idée de nous proposer quelque chose. Apparemment nos problèmes de nourriture ne les regardent pas.

 

Le patron de l’hôtel est venu changer le pommeau de douche et nous avons désormais l’eau chaude. Notre confort s’améliore.

Atico - Jeudi 19 mars 2020 – J3

Matinée comme les deux précédentes. Petites courses, petit tour sur la grève. Ramassé des coquillages pour les dessiner.

Le fils des propriétaires, qui parle un peu anglais, nous a donné le numéro de téléphone d’un restaurant qui livre à domicile, mais si nous voulons faire durer notre argent liquide, il vaudrait mieux cuire nos aliments nous-mêmes, à condition que Daniel réussisse à réparer le réchaud de camping.

Nous nous sommes inscrits sur les sites de l’ambassade de France au Pérou et du Ministère du Tourisme Péruvien. Les annonces se succèdent. Il y aura des vols pour Paris la semaine prochaine, des bus vont venir chercher les touristes coincés en province pour les ramener à Lima. Avons-nous vraiment envie de nous retrouver à Lima ? Et avons-nous également envie de débarquer à Roissy avec nos vélos ? Et après on fait quoi ? On va au Hilton et on attend ? Impossible de prendre le train avec nos vélos couchés-la SNCF n’en veut pas -, interdit de pédaler, interdit de tout. Non, ce rapatriement ne me dit rien qui vaille.

Nous avons passé une partie de l’après-midi sur Internet, Facebook, WhatsApp, à recevoir plein d’infos contradictoires. Basta ! Ça me fatigue tout ça. J’aurais mieux fait de dessiner mes coquillages.

 

Eu des nouvelles d’Emeline et Olivier (les Rayonmix) qui pédalent en Argentine. La xénophobie grandit. On leur ferme les portes au nez, refuse de les servir dans les magasins. Ils se font contrôler par les flics etc. Quelle honte ! Quand on pense que les Argentins sont tous enfants ou petits-enfants d’émigrés !

Vendredi 20 mars 2020 – J4

Petites courses. Le réchaud  acceptant de fonctionner nous avons fait cuire des pommes de terre pour deux repas. Petit tour sur la grève comme chaque jour et quelques étirements histoire de ne pas se transformer en bout de bois. Brouillard toute la journée. 

Atico-Samedi 21 mars 2020 – J5

Nous sommes allés au commissariat avec un joli petit laïus préparé en Espagnol.

« Nous voulons rejoindre Arequipa pour nous rapprocher d’autres Français en vue d’un rapatriement. Pouvons-nous avoir un permis de circulation et comment aller à Arequipa ? »

La réponse, à la Ponce Pilate, a été claire : « Non. Pas de permis de circulation. Vous êtes venus à bicyclette ? Eh bien repartez de la même façon. Peut-être ne vous ferez-vous pas arrêter »

Quand on a expliqué aux flics qu’il nous faut 4 à 5 jours pour retourner à Arequipa (350 km en plein désert), sans être sûrs de trouver à manger ni un hôtel, ils nous disent : « alors mettez-vous sur le bord de la route au péage et faites du stop » en sachant très bien que les seuls à rouler sont les camions qui n’ont le droit de prendre personne.

J’ai envoyé un témoignage de notre situation à une journaliste d’M6 qui veut faire une émission sur les Français bloqués à l’étranger.

J’ai écrit aussi à l’Ambassade pour savoir comment nous rapprocher des Français d’Arequipa. Reçu comme réponse :  « les déplacements sont interdits. Suivez les mises à jour de notre site web. Organisez-vous ».

Aussi régulièrement, plusieurs fois par jour, je vais sur le site de l’Ambassade de France. Et par exemple, à 16h a été annoncé que 237 personnes pourraient partir en bus de Cuzco à 17h30. Rendez-vous à tel endroit à 17h. Prix : 70 $ ! Se munir de nourriture, de boissons et d’un stylo pour remplir un formulaire. Bien que nous ayons tous dû nous référencer avec n° de tel et adresse email sur trois listes différentes, personne n’a reçu l’information par mail. On imagine les pauvres gens qui ont tant envie de rentrer chez eux, d’être inscrits sur un des vols prévus pour la semaine prochaine malgré les prix prohibitifs, faire leurs valises en urgence, régler leur note d’hôtel et se ruer vers le lieu de départ des bus annoncés. Nous suivons cela sur WhatsApp. Apparemment un bus est parti. Il a fallu que les passagers payent directement au chauffeur. Devant respecter le couvre-feu de 20h à 5 h du matin, il leur a été dit tout d’abord qu’ils passeraient la nuit dans un hôtel, puis c’est dans un square ! Au bout de quatre heures de route le bus s’arrête mais la police empêche tout le monde de descendre pour aller pisser, comme si c’était un bus de pestiférés (je ne fais que reprendre les témoignages des membres du groupe WhatsApp « les Français au Pérou » partis dans ce bus). Dans le deuxième bus  les passagers attendent 1h30 avant qu’on leur annonce que le Gouvernement Péruvien n’a pas donné son accord et qu’ils ne prendront pas la route. Alors j’imagine là encore ces gens complètement dépités, repartir avec leurs valises en espérant que l’hôtelier voudra bien les reprendre.

Quant aux vols vers la France prévus pour les jours prochains, ils n’existent tout simplement pas.

C’est ainsi que l’Ambassade de France « travaille » et joue avec les nerfs de ses ressortissants.

Finalement nous sommes plutôt mieux paumés dans ce patelin où aucune de ces nouvelles et contre-nouvelles ne peuvent nous concerner.

Daniel a tenté quasiment toute la journée de réparer le réchaud. A 17h c’était gagné ! Nous allions pouvoir faire cuire du riz pour notre dîner. A 18h30, c’était foutu. Rien à faire pour le rallumer. Ça ressemble beaucoup à la façon de fonctionner de l’Ambassade de France.

Ci dessous croquis du jour

Atico - Dimanche 22 mars 2020 – J6

En fin de matinée allant faire nos courses quotidiennes, nous nous sommes heurtés à la porte fermée de l’épicerie d’en face. Non, pas fermée mais poussée. Un homme qui surveillait nous a vus et l’a entrouverte. « Passez. Une personne seulement ». J’ai demandé à la patronne, qui commence à nous connaitre, ce qui se passait. « Ordre du gouvernement aux magasins de ne plus ouvrir que de 7 à 10 h et 16 à 19 h. » J’en prends bonne note. Si nous voulons avoir du pain demain, il faudra sortir de bonne heure.

Le reste de la matinée s’est passée à enregistrer un témoignage vidéo pour M6, l’envoyer aussi à Corrine, écrire une lettre à Ouest France et au Magazine Marianne. Ce sont des bouteilles à la mer. Nous ne nous sentons pas dans l’urgence, mais la situation pourrait dégénérer en xénophobie. Cependant des coups foireux comme l’Ambassade sait si bien en organiser (voir hier soir à Cuzco), on n’a pas trop envie d’y participer. Vaudrait-il mieux être oublié ? No se. Il parait que ce n’est pas de leur faute. Rien n’est jamais de la faute de personne.

 

Ci-dessous croquis du jour

Beau coucher de soleil ce soir.

 

Atico-Lundi 23 mars 2020 – J7

Il a fallu refaire la vidéo pour M6. La journaliste m’a appelée pour me demander de préciser telle et telle choses dans mon témoignage. Et puis j’ai encore passé ¾ d’heure pour l’envoyer.

Pierrette a transmis ma lettre aux journaux à La Dépêche. Je l’ai également publiée sur Facebook.

Pendant que je faisais tout ce travail de communication Daniel a réussi à faire durcir des œufs et cuire des pommes de terre sur le réchaud capricieux. Nous en avons pour 3 repas. Super.

Nous sommes descendus sur la grève, mais n’avons pas eu envie d’y marcher aujourd’hui. Non, trop d’ordures, trop sale. Ce n’est pas la plage de Cabourg !

Dans l’après-midi nous avons fait un dessin d’après photo, puis regardé une Grande Librairie avec JMG Le Clezio.

Payé aujourd’hui la semaine à l’hôtelière qui nous a compté la chambre à 35 Soles au lieu de 45. Sympa.

L’Ambassade a mis un communiqué sur son site au sujet de prochains vols AF Lima-Paris à « un prix raisonnable » (sic). Quand on imagine les revenus de tous ces hauts fonctionnaires qui s’occupent de notre sort, il y a de quoi s’inquiéter. C’est à nous de surveiller constamment la mise en vente des billets sur le site d’AF mais rien n’est dit sur le moyen de rejoindre Lima. Enfin le Quai d’Orsay se félicite, c’est bien si ils sont contents.

 

Voilà encore une journée passée.

 

Atico -Mardi 24 mars 2020 – J8

La mer est particulièrement forte aujourd’hui et nous avons passé un moment sur la plage à regarder les rouleaux s’écraser sur les galets et les mouettes et vautours étaler les ordures. Les mouettes attaquent les vautours qui, eux, ont l’air moins agressifs.

Nous avons la chance de pouvoir encore sortir.

Lu le témoignage de Français et Belges qui se sont retrouvés dos au mur, arme braquée sur le ventre, par les militaires parce qu’ils étaient dans la rue. Ils allaient simplement se chercher à manger. Retour illico à l’hôtel. « Vous n’avez qu’à vous faire livrer ».

Dessin, mails, coupe de cheveux. Et la journée est passée. Il faut absolument que nous organisions notre temps par tranches horaires incluant gymnastique et cours d’Espagnol.

La  brume a tout noyé dès le milieu de l’après-midi.
Dans la soirée nous avons communiqué par Messenger avec Dominique et Michel (Terre en Roue Libre) arrêtés en Basse Californie, à San Ignacio.

 

Lu « L’homme sorti de la mer » Henry de Monfreid

Atico - Mercredi 25 mars 2020 – J9

Nous sommes retournés à la banque et il nous a été conseillé de faire venir de l’argent par Money Gram. Pas de Western Union ici. Nous nous occuperons de cela ces jours-ci.

 

Courses – Etirement face à la mer. A 10h nous étions rentrés.
Pas eu envie de se mettre aux cours d’Espagnol. Seulement de dessiner.
Téléphoné à maman pour son anniversaire. Elle me dit qu’elle a l’impression d’être aux Baumetttes. Corrine est allée la voir pour parler un peu par-dessus la grille.
Rien de plus à dire aujourd’hui. Finalement quand on n’a pas grand-chose à faire on a envie d’en faire encore moins et le temps fout le camp. Ça doit être ça vieillir.

Croquis du jour faits d'après photos ci-dessous

Atico - Jeudi 26 mars 2020 – J 10

Ce matin, alors que nous sortions pour notre petit tour quotidien, le fils des hôteliers nous a dit que sa mère préparait pour midi un plat traditionnel et que nous pourrions manger avec eux. « Elle s’inquiète parce que vous ne mangez que des crudités, des fruits et des conserves. Ça sera prêt vers midi ½ » (tout cela en Anglais). Nous l’avons vivement remercié et sommes allés à la pâtisserie acheter un assortiment de petits gâteaux. A midi ½ il est arrivé à notre chambre avec une assiette garnie. Apparemment nous n’avions pas tout compris. Il s’agissait de poulet, de riz et de pommes de terre. Rien de neuf. En rapportant l’assiette j’ai donné mes petits gâteaux, après en avoir réservé quelques-uns pour nous tout de même.

Dans l’après-midi la  jeune femme de ménage est venue nous demander si nous voulons commander  une portion de poulet + pommes de terre samedi à la « polleria » qui ouvrira ce jour-là. Décidément nos propriétaires s’occupent de notre apport en protéines. Mais les Péruviens ne mangent que du poulet !

Nous avons demandé ouvertement l’autorisation d’utiliser notre réchaud. Accordée, mais sur le toit en terrasse. Au moins n’avons-nous plus besoin de nous cacher.

Nous avons recommencé les cours d’Espagnol.

Passé l’après-midi à dessiner d’après photo. Mais nous avons beau faire des exercices le matin sur la plage, j’attrape mal aux reins à force d’être assise.

 

Trois vols Lima-Paris sont annoncés pour la semaine prochaine, mais nous envisageons de plus en plus de rester ici, d’attendre. Une fois à Roissy, où c’est apparemment un bordel incroyable, rejoindre St Céré avec les vélos et tout notre barda va être une telle galère que les bras nous en tombent. Il n’est même pas certain que nous puissions ramener les vélos en France.

Croquis du jour d'après photos ci-dessous

Atico - Vendredi 27 mars 2020 – J11

Nous avons fait cuire des pommes de terre sur le réchaud, mais pas sur le toit en terrasse comme nous l’a conseillé le fils de l’hôtelière. Dans notre salle d’eau, par flemme de monter. Ce réchaud à essence fait un tel bruit que nous fermons toutes les portes et fenêtres pour que cela ne s’entende pas à l’extérieur. Nous venions tout juste d’éteindre le feu et étions prêts à servir nos pommes de terre (avec plein de persil, oignons, ail et un jus de citron) quand le jeune a frappé à notre porte. Il nous apportait de la part de sa mère une assiette de poisson frit, de ceviche (poisson cru au citron et piment) et de la patate douce. Ouf ! Deux minutes plus tôt et nous étions pris en flagrant délit. Nous n’avons pas refusé ce délicieux repas et avons gardé nos légumes pour le dîner.

Les voisins de la maison d’à côté sont très bruyants. Aujourd’hui cela a été vraiment pénible. Ils hurlent à longueur de journée, se parlent à tue-tête d’un bout de leur cour à l’autre, s’esclaffent et rient bêtement. Et quand ils se taisent enfin, c’est pour mettre de la musique comme s’ils étaient chargés de l’animation de la ville entière. Difficile dans ce contexte de se concentrer sur quelque chose ou d’avoir une conversation téléphonique.

 

Croquis du jour d’après photos ci-dessous

Atico -Samedi 28 mars 2020 – J12

Nous avions commandé hier, comme nous l’avait suggéré la jeune femme de ménage, une portion de poulet et pommes de terre à la polleria d’en face. Vu le prix - 15 Soles par personne alors que depuis le début de notre séjour au Pérou nous payons 10 Soles pour deux- nous espérions en avoir largement pour deux fois. Surprise quand elle nous a apporté notre repas. Maigre, très maigre portion. Nous avons vraiment eu l’impression de nous être fait avoir. A ne pas renouveler.

Nous recevons, via le groupe « les Français au Pérou » informations et contre-informations concernant une éventuelle possibilité de retour en France.

J’ai mis cette après-midi un post de ras-le-bol sur Facebook.

 

       POUR INFORMATION et Merci de partager

Il parait que le gouvernement français fait tout ce qu'il peut pour ramener chez eux les ressortissants français bloqués à l'étranger.
Juste pour info voici les faits de ces dernières 24 heures :

"L'ambassade de France au Pérou annonce sur sa page web que 3 vols AF Lima-Paris vont être mis en place la semaine prochaine. (Impossible de les voir sur le site d'AF mais ça va peut-être venir...)

Nous envoyons à l'ambassade le mail suivant :

"Nous sommes un couple (déjà inscrits sur vos listes) coincés à Atico, à mi-distance entre Arequipa et Nazca. Si un bus part d'Arequipa il semble qu'Atico soit sur sa route (la Panamericana Sur). Ne pourrait-il pas s'arrêter pour nous prendre ? "
La réponse arrive :
"Aucun arrêt ne sera effectué, vous devrez rallier Arequipa."

Nous ne disons pas que l'ambassade ne fait pas tout ce qu'elle peut. Nous disons simplement qu'on nous fait tourner en bourriques.
En l'occurrence nous décidons de rester où nous sommes. Mais qu'on ne vienne pas nous dire, si la situation se dégrade pour les étrangers, "on vous a proposé de rentrer et vous ne l'avez pas fait"

 

Croquis du jour faits d’après photos ci-dessous

Atico - Dimanche 29 mars 2020 – J13
Encore des hésitations aujourd’hui. On cherche une voiture  pour Arequipa ? Ica ? On essaie de partir ? On reste ? Moi je suis d’avis de rester ici. Daniel hésite et est inquiet pour la suite.

Ce matin, histoire de marcher un peu plus, nous avons fait le tour du village avant d’aller sur la plage. Je crois bien que nous faisons partie des rares « confinés » à pouvoir encore nous promener. Atico s’est construit le long de la Panaméricaine qui vient de l’Equateur, de Lima et continue vers le Sud, le Chili, en passant par Arequipa. C’est une route à camions, et, malgré les mesures de confinement actuelles, ils sont encore très nombreux à circuler. Cette route et une rue parallèle sont donc bitumées ainsi que les perpendiculaires qui les relient, et puis les maisons ont continué à s’accrocher à la colline de sable, formant des ilots reliés par des pistes. Quand on est sur la Place d’Armes, au coin de l’église de béton peinte en jaune, on voit le goudron qui s’arrête à quelques centaines de mètres, au pied d’une butte surmontée de quelques cahutes. C’est le cimetière et une trace quasiment verticale y monte. Cela me rappelle un peu les cimetières du Kirghizstan. Plus loin, derrière, ce sont des montagnes de roches et de sable jusqu’à mille mètres d’altitude, un immense désert.

Alors que nous vivons en liquette et en short, j’ai du mal à imaginer qu’il y a si peu de temps nous couchions dans des chambres où la température n’excédait pas 10°. Les grands chapeaux et les jupes colorées des femmes avec leurs gros baluchons rayés dans le dos me manquent. Nous avons quitté vraiment brutalement le monde andin, ses montagnes verdoyantes, les grands eucalyptus, pour ce désert de sable et de caillasse et des autochtones qui nous ressemblent beaucoup. Bref, plus d’exotisme.

Nous avons, sans le vouloir, instauré un rythme à nos journées. Réveil naturel, sans sonnerie, vers 6h30. Petit déjeuné au lit. Lecture des nouvelles sur WhatsApp, Gmail et Google. Puis nous sortons faire nos petites courses et un peu de gymnastique face à la mer. Vers 10h nous sommes de retour, heure à laquelle les magasins doivent fermer et la rue se vide. Un peu de révision du vocabulaire espagnol ne fait pas de mal, même si nous avons bien peu l’occasion de pratiquer. Il est bientôt l’heure de préparer notre repas. Et à ce sujet aujourd’hui encore notre hôtelière nous a fait monter une assiette de spaghettis au thon alors que nous avions fait cuire des pates pour deux fois. C’est très gentil mais devient gênant. Aussi quand je suis descendue lui rendre l’assiette, je lui ai sorti avec mes remerciements, la belle phrase en Espagnol que j’avais apprise par cœur : « no se preocupes. Tenemos una pequena estufa y podemos cuccinar pasta, arroz, huevos. » (Ne vous inquiétez pas. Nous avons un petit réchaud et pouvons cuisiner des pâtes, du riz et des œufs.) Ça l’a fait sourire.

Après la sieste, un coup de fil ou de Skype avec les amis ou la famille, puis dessin jusqu’à l’heure du thé. Grâce à une entrée USB nous pouvons regarder nos photos sur le grand écran de télévision de notre chambre. C’est plus facile pour dessiner. Après le thé, je prends mon cahier et Dany son livre. A 18h, spectacle du coucher de soleil. A 18h30 il fait nuit. Ce serait l’heure d’un petit apéritif sur le balcon, mais comme nous n’en avons pas, nous refaisons un peu de gymnastique.

 

On dîne. On se couche. On bouquine. Vers 21h30, parfois avant, extinction des feux.

Croquis du jour d'après photos ci-dessous

Atico -Lundi 30 Mars 2020 – J14

Suite au message de l’Ambassade de France reçu avant-hier, Dany a insisté pour que demandions au jeune de l’hôtel de nous aider à trouver une voiture pour aller à Arequipa. Je n’étais pas trop d’accord. Nous avons donc, grâce à Google Traduction, traduit ce message en Espagnol et sommes allés le voir. D’après lui le mieux est d’aller voir la police qui contrôle tous les véhicules qui passent par Atico. Son père nous y emmène en voiture. Pour l’occasion nous avons tous mis nos masques. Il expose la situation à un gendarme qui l’emmène vers le bureau du Grand Chef, lequel Grand Chef vient ensuite nous voir et nous tient à peu près ce langage, traduit en Anglais par notre Cicérone : « Nous sommes en période de crise. Nous ne pouvons pas vous permettre de circuler… blablabla… Vous êtes beaucoup plus en sécurité ici, dans cette petite ville, qu’à Arequipa ou Lima. A votre âge ( !), si vous attrapez le Covid19, Couic ! (avec geste à l’appui). Restez à l’hôtel Aticomar. Si vous avez besoin de quoique ce soit, venez nous voir. Dieu a voulu nous imposer cette épreuve. Remettez- vous en à Dieu ». Etrange fin de discours pour un flic. (Inch’Allah)

Rentrés à l’hôtel nous avons donc remercié et insisté sur le fait que nous risquions de rester longtemps. Pas de problème. Nous sommes les bienvenus. Ils sont là pour nous aider. « Nous sommes catholiques. Dieu a voulu que vous vous arrêtiez ici ».

Bon. Au moins les choses sont claires. Ils savent que nous sommes en contact avec l’Ambassade, que nous avons fait notre possible pour rejoindre des points de rapatriement (bien aléatoires en fait d’après les témoignages d’autres Français), que nous sommes là pour un certain temps. Me voilà soulagée, moi qui ne voulais pas aller me fourrer dans cette pagaille.

 

A partir de demain, le couvre-feu sera effectif de 18h à 5h.

Croquis du jour d'après photos ci dessous

Croquis fait du balcon en ce jour 14 de confinement

Atico - Mardi 31 mars 2020 – J15

J’allais entrer dans une épicerie quand une cliente, la seule, me crie : « pas à plus d’un mètre ! » J’étais encore sur le trottoir, à 5 mètres au moins. Puis elle a remonté son t-shirt devant sa bouche et, tout en me regardant, a carrément pris la fuite. La commerçante m’a servie comme si elle n’avait rien remarqué et je me suis tenue bien éloignée d’elle. Cependant nous nous rendons la monnaie et les billets crasseux qui passent de main en main sans prendre de gants. A partir de demain, pour aller faire les courses, je mettrais le masque, bien que peu de personnes en portent ici.

D’après les témoignages lus sur WhatsApp et Facebook, l’organisation du rapatriement des Français du Pérou vers la France est toujours aussi chaotique.
Vu ce matin un groupe de pélicans voler au ras des vagues.

 

Croquis du jour d’après photos ci-dessous

Atico - Mercredi 1er avril 2020 – J16

Petites courses. Petit tour sur la plage. Pas d’électricité donc pas de nouvelles du monde.

Pas de dessin aujourd’hui.

 

On s’ennuie un peu, mais on ne doit pas être les seuls dans ce cas…

Atico-Jeudi 2 avril 2020 - J17

Une dépêche vient de tomber. Désormais les hommes ne pourront sortir dans la rue que les lundis, mercredis et vendredis, les femmes seulement les mardis, jeudis et samedis. Dimanche, personne dehors


Journal du confinement - du 2 au 11 avril 2020

 

(Article mis en ligne le 22 avril 2020)

 

 

 

 

 

 Lima - Embarquement des rapatriés pour l’aéroport militaire

 

Cet article pourrait s’intituler « Retour au Pays Natal «  ou bien « L’Enigme du Retour » si ces deux titres n’avaient pas été déjà pris par deux grands écrivains (et si vous n’avez pas lu Aimé Césaire ni Dany Laferrière, il ne vous reste plus qu’à vous y mettre. J’ai sous le coude en format électronique le très beau livre de Dany Laferrière qui parle d’Haïti et de l’exil. Si vous le voulez, pas de problème, je vous l’envoie par mail.)

Je ne prétends pas relater une aventure avec un Grand A mais tout simplement ce que la majorité des « rapatriés »français de ces dernières semaines ont sans doute vécu. Nous y avons rajouté un peu de piment avec le transport de nos vélos et notre étourderie. Rien de grave en soi – nous ne sommes pas des migrants avec un seul baluchon pour tout bagage- Relativisons et pensons à eux.

 

Certains ont déjà entendu cette histoire de vive voix. C’est un vrai roman fleuve que l’histoire de ce retour. J’aurais pu résumer, faire plus court, mais j’ai finalement choisi de garder la forme du journal quotidien.

Atico – Jeudi 2 Avril 2020 – J 17

Est-ce à la suite du coup de fil de Mylène (Deux Vélos autour du Monde) qui m’annonce qu’ils ont trouvé une voiture pour rejoindre Lima avec l’espoir d’un vol pour Paris ? Est-ce d’avoir appris que le dernier vol Air France aura lieu la semaine prochaine ? Ou encore le lâché de militaires sur tout le territoire péruvien ? D’un seul coup hier soir l’angoisse et le stress se sont installés dans notre petite chambre. Nuit blanche. Au matin j’ai contacté un Français résidant à Ica pour savoir s’ils sont encore nombreux là-bas. Tous sont sur le point de partir dans un bus affrété par l’Ambassade. Normalement, à part les résidents, il ne devrait plus y avoir de Français entre Ica et Lima. Nous nous sentons de plus en plus isolés.

Tout le monde ici parle d’un confinement de plus de deux mois. Un communiqué du gouvernement péruvien a annoncé ce midi que désormais les hommes pourront sortir les lundis-mercredis-vendredi et les femmes les mardis-jeudis et samedis, et seulement pour les achats indispensables. Couvre-feu de 18 h à 5h du matin et  le dimanche toute la journée. C’en est fait de notre petit tour matinal sur la plage. Des Français en camping-car ont reçu des pierres à Puno, d’autres se sont faits virer de leur hôtel ou bien ont vu le prix de la chambre doubler du jour au lendemain.

Même si Dieu a voulu que nous soyons là, nous ne nous sentons pas bien. La déprime nous guette.
Guillaume, d’Ica, nous rappelle. « J’ai peut-être une solution pour vous ». Il connait une petite agence de voyages qui fait du transport de personnes, tenue en outre par un couple franco-péruvien. Nous les contactons. Ils peuvent venir nous chercher et nous emmener à Lima. C’est cher : 500 €, mais finalement pas plus que de rejoindre Arequipa et de prendre un hypothétique avion affrété par l’ambassade. Top là. Nous remplissons la demande d’autorisation de circuler fournie par l’ambassade et croisons les doigts.

Dans l’après-midi une « stagiaire auprès de l’ambassade de France » nous informe qu’elle tente d’organiser le retour groupé vers Lima des 14 derniers Français encore coincés à Nazca. Voulons-nous nous joindre à eux ? On dit oui à tout. On verra bien.

Atico - Vendredi 3 Avril 2020 – J18

Ce matin apparait sur le site web de l’ambassade l’annonce qu’un bus fera prochainement Ayacucho-Atico-Nazca-Lima pour ramasser les derniers Français dans le coin. Il faut vite remplir une demande d’autorisation de circuler en mettant « bus ambassade » à la place du modèle de véhicule si nous voulons pouvoir en profiter. J’hésite. Nous avons déjà rempli une demande. Est- ce que cela ne va pas porter à confusion ? Et pourrons-nous mettre nos vélos dans ce bus ? Nous décidons d’attendre demain matin pour faire une nouvelle demande.

Bien nous en a pris. Un message WhatsApp d’un certain Jean-Jacques nous prévient que l’ambassade n’a rien fait du tout. Qu’il s’est débrouillé tout seul pour organiser ce bus qui ne passera en aucune façon par Atico bien trop à l’écart de la route directe. En effet cela fait un détour d’environ 800 km. Je l’appelle. Nous discutons un moment et il m’assure que si nous voulons rejoindre Lima il faut que nous nous débrouillions par nos propres moyens. Lui aussi a longuement hésité à rentrer en France, mais finalement il s’est décidé.

Dans l’après-midi, l’ambassade rectifie son annonce sur son site et annule le passage d’un bus par Atico. Un cafouillage de plus.

Atico-Samedi 4 avril 2020 – J19

 

Les militaires sont dans la rue d’Atico. Je les ai vus ce matin au carrefour où se garent les tuk-tuk en attente de clients à remmener chez eux et jusqu’au port à 3 km d’ici. Ils étaient cinq, armés de mitraillettes bien pointées vers un malheureux conducteur de tuk-tuk dont les papiers étaient contrôlés par le sixième. Six hommes armés pour contrôler un mec tout seul ! Et on nous dit que l’armée est là pour notre sécurité !  J’ai une frousse terrible de ces mecs qui jouent à la guerre. Surtout que le Président Péruvien a annoncé ces jours-ci qu’ils ne couraient aucun risque de  sanction en cas de blessés ou morts en cas de légitime défense. Et à partir de quel moment des militaires armés se sentent-ils en légitime défense face à un homme seul et inoffensif ?

Pain et légumes achetés (1/4 d’heure) je suis rentrée à l’hôtel non sans avoir récupéré un carton, un tout petit carton, pour protéger nos grands vélos en cas de départ.

Nous attendons toujours l’autorisation de circuler que nous espérions avoir aujourd’hui. Le fameux Jean-Jacques du groupe des « Français au Pérou » nous a donné le numéro WhatsApp de quelqu’un de l’ambassade. L’homme qui nous a répondu, très affable au demeurant, nous a assuré qu’il fait son possible pour obtenir ce papier et qu’il est en contact également avec notre transporteur. Le prochain vol pour Paris est annoncé pour le 9 avril mais le Gouvernement Péruvien n’a pas encore donné l’autorisation de décoller.

Nous sommes tellement préoccupés et stressés que nous ne faisons quasiment plus de gymnastique (désormais uniquement dans le couloir de l’hôtel) ni de cours d’Espagnol.

Nettoyage des vélos en vue d’un prochain emballage

Atico - Dimanche 5 avril 2020 – J20

6h30 - Je me suis réveillée avec l'image du Causse de Padirac dans la tête. Envie de monter sur le Causse à vélo.

- Ah ! Non ! J'avais oublié que c'est interdit

- Alors on pourrait simplement marcher jusqu' à Montal?
-Ça fait plus d'1 km. Interdit.
- Bon. Je vais m'acheter une tablette de chocolat chez SPAR
-T'es déjà sortie ce matin. Interdit.
- Zut ! Je vais boire un café chez les voisins
-T'es pas folle ! Ils sont âgés. C'est interdit d'aller les voir!
- Eh Merde ! Je vais me coucher.
- Je te l'interdis ! C'est l'heure de notre gym avec YouTube
Marre ! Marre ! Marre !

En attendant je suis en prison péruvienne 4 étoiles dans ma chambre et il n'est pas interdit de regarder la mer au loin par la fenêtre. L'océan s'en fout de nos histoires. Il continue à écraser les galets pour en faire du sable et les voisins ont le droit de vivre bruyamment.

Aujourd’hui dimanche, même pas la petite sortie d’1/4 d’heure pour aller faire les courses. Interdit de sortir à tout le monde.  Zut, les voisins vont rester chez eux toute la journée.

Vers 14 h entendu une musique militaire puis des beuglements dans la rue. Nous sommes montés sur le toit en terrasse pour voir. En effet une troupe d’une dizaine de militaires patrouillait dans l’avenue déserte.

L’armée péruvienne amène ses chars près de la frontière de l’Equateur. Pour fortifier sa frontière ou faire régner l’ordre dans le pays ?

Aujourd’hui nous avons dessiné les pots qui sont sur notre table. Quand on commence à dessiner son pot de café, c’est qu’on n’a plus beaucoup d’idées. On me rétorquera que Van Gogh a dessiné sa chaise et sa chaussure. Mais sa chaise était belle et son godillot intéressant, ce qui n’est pas le cas des nôtres.

 

Ci-dessous : Croquis du jour 

Atico – Lundi 6 avril 2020 – J21

Passé la journée sur WhatsApp et Gmail avec notre transporteur et l’ambassade. Epuisant. En fin de journée, malgré bien des cafouillages, infos et contre-infos de la stagiaire de l’ambassade, il semblerait quand même que nous devrions partir mercredi matin pour Lima.

Regardé aujourd’hui un reportage sur Patrick Plaine, un cycliste qui a roulé 1 600 000 km. Un bon vieux toujours rivé à son vélo, avec bien peu de sous, bivouaquant dans les bois ou dans des granges ou hangar quand il fait trop mauvais. Chapeau bas. Mais voilà. Un tracteur l’a fauché sur la route et l’a tué. Il avait 70 ans.

Les jeunes qui sont partis de Roissy à vélo pour rejoindre leur Jura nous ont écrit pour nous déconseiller de  faire comme eux. 100 km par jour, par n’importe quel temps, arrêtés par les dénonciations des braves gens qui n’hésitent pas à appeler les flics. Evidemment quand ils sortent leur laisser passer tout s’arrange, mais l’ambiance n’est pas géniale et ils sont à la merci d’une personne agressive. Pour bivouaquer, surtout se présenter à la mairie d’un village d’abord, or les mairies sont fermées. « Surtout ne faites pas ce que nous faisons »  concluent-ils.

Tandis que j’écris à 20h, assise sur mon lit, se déroule juste au coin de la rue, à l’angle de l’hôtel, ce qui ressemble bien à une manif. malgré le couvre-feu. Entendant des vociférations et des coups de sifflets nous sommes montés sur le toit. Deux autres clients de l’hôtel s’y trouvaient déjà – « Que passa ? » et dans leurs explications en Espagnol j’ai repéré les mots « pêcheurs », « pas de travail ». Ils sont rassemblés devant un type qui leur parle au mégaphone mais que nous ne voyons pas. Je ne sais pas ce qu’il leur raconte mais ça n’a pas l’air de les calmer. Les militaires surveillent de près. Ça devait arriver et, à mon avis, ce n’est qu’un début. Les Péruviens n’ont pas les moyens, à l’instar de tous les pauvres du monde, d’arrêter de travailler. Et cela fait trois semaines maintenant qu’ils subissent ce confinement.

 

Ci-dessous Croquis du jour d’après photo

 Atico – Mardi 7 avril 2020 – J22

Apparemment nous devrions prendre la route de Lima  la nuit prochaine. La suite ?

Il est possible que nous ayons une place sur le vol de jeudi, sinon ce sera pour la semaine prochaine.

Nous ne savons pas où nous pourrons loger en France. Les amis qui nous prêtent d’habitude un petit appartement, ceux  sur qui nous comptions, ceux que nous pensions être parmi nos meilleurs amis, nous lâchent, brutalement, sans un mot de réconfort.Ca fait mal, très mal. Par peur de la maladie ? Par panique ? Ce virus n’attaque pas que les corps et les psychologues vont avoir du boulot. Pestiférés nous sommes à l’étranger. Pestiférés nous restons en rentrant chez nous.

Les autres, nombreux et même parfois ceux  que nous n’aurions pas pensé à solliciter, nous soutiennent par Skype et WhatsApp.

 

Lima – Mercredi 8 avril 2020 – J23

 

Levés à 1 h du matin. A 1h30 nous sommes sur le trottoir. Un moment d’inquiétude, notre taxi n’est pas là. Mais il arrive bientôt, un Master Renault. A 2 h nous prenons la route, cette route que nous aurions dû suivre à vélo. A la lueur de la pleine lune nous devinons la  côte déchiquetée, la tranchée que fait cette Panaméricaine Sud à travers les montagnes de roches qui tombent à pic dans l’Océan.

Je somnole un peu.

Peu avant 6 h nous arrivons à Nazca alors que le jour se lève. Nous devons y prendre deux autres Français. Nos chauffeurs sont exactement dans l’horaire prévu. On voit tout à fait clair maintenant et le paysage désertique couleur sable ponctué de collines brunes nous enthousiasme. C’est ici que sont tracées les fameuses lignes de la Nazca que l’on peut observer du haut des quelques miradors construits çà et là, ou mieux, d’avion. Mais nous ne sommes plus là pour faire du tourisme. Je rêvais de ces dessins magiques depuis l’adolescence. Je n’ose pourtant pas dire « nous les verrons plus tard ». J’ai l’intuition que nous ne reviendrons pas en Amérique du Sud. La route file tout droit maintenant, d’abord entre de grands vergers, puis dans un désert occupé çà et là d’immenses poulaillers industriels, simples murs de parpaings couverts de filets noirs. Des milliers de poulets. C’est que les Péruviens en mangent tous quotidiennement – sauf ceux qui ne peuvent s’offrir qu’une assiette de riz évidemment.

Avant midi nos chauffeurs nous déposent à notre hôtel. 700 km,  dix heures de route, juste un arrêt de dix minutes pour les toilettes. Nous payons les gars et ils reprennent tout de suite la route pour rentrer chez eux à 450 km de là. Je suis nauséeuse, crevée d’avoir sauté une nuit. Pourtant, sur les nerfs, nous n’arrivons pas à nous reposer. Il nous faut emballer les vélos avec les quelques bouts de carton récupérés. D’autres cyclos-voyageurs dans le même hôtel nous donnent du scotch et des bouts de mousse. Dany va jusqu’au supermarché –c’est le jour de sortie des hommes- où il espère trouver du film étirable. Moi je reste sur le qui-vive près du téléphone. Nous n’avons pas notre billet d’avion bien que nous soyons soi-disant prévus sur le vol de demain. Pire ! Nous n’avons pas de logement en France. Il nous faut régler tout cela avant ce soir. Je vais passer l’après-midi au téléphone, ce fameux smartphone sans lequel rien ne peut plus se régler.

A 19h nous sommes enfin dans notre chambre, épuisés. Nous avons nos billets d’avion (Air France devait nous appeler  mais finalement j’ai pris les devants et ai bien cru comprendre que nous avions été oubliés), les vélos sont emballés tant bien que mal.

 

 Nous dinons de nouilles rapides et je m’écroule. Je suis fatiguée mais ce sera encore une nuit d’insomnie. La nuit est silencieuse. Enfin plus le bruit du Pacifique furieux. Réveil au chant des oiseaux car il y a des arbres dans l’avenue.

 

Lima - Jeudi 9 avril 2020 – J24

 

A 7 h du matin nous savons enfin que nous pourrons occuper l’appartement de Cabourg. Un grand merci à Françoise qui nous sort de l’embarras. A 7h30 nous sommes dans la rue avec nos vélos emballés et nos deux sacs de 20 kg. Nous n’avons que 300 mètres à parcourir jusqu’à l’Alliance Française où tous les Français rapatriés ce jour ont rendez-vous. De 20 mètres en 20 mètres, colis par colis, nous y arrivons parmi les premiers. Nicolas et Mylène, qui sont dans le même cas que nous, nous aident sur les derniers mètres. 

Lima – devant l’Alliance Française

Nous serons bientôt assez nombreux pour remplir trois bus envoyés par l’ambassade pour nous emmener jusqu’à l’aéroport militaire d’où nous devons décoller. Naïves, Mylène et moi disons bonjour aux autres Français qui se trouvent tous dans la même situation, celle de rapatriés – payants certes mais rapatriés quand même. Personne ne répondra à notre salut. Chacun pour soi, chacun tout seul.

Première étape réussie : les vélos sont chargés dans le bus sans problème. En convoi nous traversons Lima du Sud au Nord. La ville est déserte, à part quelques barrages militaires, tous les magasins ont baissé leur rideau car, après avoir décrété le dimanche « jour de confinement total », le Président vient d’y ajouter les deux journées du jeudi et vendredi saints, ce qui fait que les femmes n’auront pu sortir de chez elles que mardi et samedi cette semaine, et seulement pour les achats indispensables.

A L’aéroport les formalités sont simplifiées. Contrôle des passeports, étiquetage des bagages sans difficultés ni supplément pour les vélos. A notre surprise le bagagiste attrape nos sacs de plus de 20 kg que nous avons eu du mal à trainer sur le trottoir, un   au bout de chaque bras. Il est costaud le bougre ! On nous remet dans un bus à 10h30. Et on attend. On attend. Patience, le décollage n’est prévu qu’à 14 h. Et puis le commandant de bord fait son apparition vers midi pour nous prévenir que les 140 Français de Cuzco qui doivent nous rejoindre y sont toujours, leur avion étant en panne !  Un autre avion va aller les chercher et nous ne décollerons que lorsqu’ils seront là. Pour nous occuper on nous distribue des chips. C’est salé, ça donne soif mais pas d’eau. A 13 h nous montons dans l’avion et recevons un sandwich et un verre d’eau.

Notre voisine de siège est Suisse,  étudiante en médecine et faisait un stage à l’hôpital d’Iquitos. Elle a été rappelée avant la fin de son stage. Il y a du travail en Suisse. Elle témoigne de ce qu’elle vient de vivre, des conditions de travail archaïques, du manque de médicaments et d’argent. Le Covid 19 étant extrêmement médiatisé, d’autres malades, sont renvoyés chez eux pour libérer des lits. En cette saison où la dengue se répand à une vitesse folle, les hôpitaux, surchargés aussi par de nombreux cas de tuberculose, ne font plus face. De nombreux morts seront comptabilisés parmi les victimes du Covid 19 alors qu’ils seront décédés d’une autre maladie ou tout simplement par manque de soins, leurs cas passant après la pandémie. Un matin à son arrivée à son service, tous ses patients ont disparus. Où sont-ils ? Regroupés avec tous les autres malades de l’hôpital dans une unique salle pour montrer à l’équipe de télévision qui doit passer qu’il y a des lits disponibles pour accueillir les victimes de l’épidémie.

Enfin, tout le monde est à bord. Les Français de Cuzco, d’Iquitos et d’Arequipa nous ont rejoints. Nous pouvons décoller. Il est 18h. J’ai déjà mal partout à force d’être assise depuis hier matin. Impossible d’empêcher l’anxiété me gagner. Une fois à Roissy, comment récupérer les clefs ? Comment rejoindre Cabourg ? Pourrons-nous louer une voiture ? Ou bien devrons-nous partir à vélo malgré les avertissements reçus ? Où pourrons-nous dormir ? Tout le monde fuit tout le monde.

Une heure de vol à peine s’est écoulée qu’un appel « Y a-t-il un médecin à bord ? » est lancé. Le passager assis derrière moi a apparemment des problèmes intestinaux aigus. Quelle surprise en voyant arriver le médecin. C’est le fameux Jean Jacques avec lequel nous avons maintes fois été en contact ces derniers jours au Pérou et que nous avons retrouvé à l’hôtel de Lima. Décidément ce jeune homme est la providence même.

Alors que nous venons de survoler le Venezuela et approchons des Caraïbes, une nouvelle annonce est faite : « Un de nos passagers devant être hospitalisé d’urgence, nous allons faire escale à Pointe à Pitre ». Evidemment de nombreux regards se tournent vers mon voisin. Non. Il ne s’agit pas de lui mais d’un passager de première classe. Un problème cardiaque apparemment. Tout le monde sera bientôt rassuré : « le grave problème de santé du passager débarqué n’a rien à voir avec la pandémie actuelle ». J’imagine l’angoisse de cet homme qui espérait enfin pouvoir rentrer chez lui et qui va se retrouver seul dans un hôpital à l’autre bout du monde, sans bagage. Ceci dit il a tout de même la chance d’être pris en charge en territoire français plutôt qu’au Pérou.

 

Vendredi 10 avril 2020 – J 26

Nous atterrissons enfin à Roissy à 14h, avec sept heures de décalage horaire. Passage en douane et nous sommes fort aise de pouvoir écrire sur la dérogation de déplacement à la mention « adresse » celle de Cabourg. Nous avons 24 heures pour rejoindre « nos » pénates. Ça va être juste. Nous récupérons bagages et vélos et nous dirigeons en poussant nos chariots, déchargeant, puis rechargeant les vélos dans les agaçantes  chicanes, vers l’agence de location Hertz. Nous n’y sommes pas seuls et il faudra attendre presque une heure pour que vienne notre tour. Gros problème : toutes les agences de la région de Caen-Cabourg sont fermées. Nous devrons laisser le véhicule à Rouen, soit à 100 km de Cabourg. L’angoisse recommence. Roland et Corrine se mettent sur leurs ordinateurs pour nous trouver un endroit où passer une nuit, même sous la tente, entre Rouen et Cabourg. Hors de question de bivouaquer en cette période où tout est interdit. Dany a enfin les clefs d’une voiture. Je le vois revenir en courant vers le bureau de location. « Qu’est-ce qui se passe ? »-« Je ne sais pas me servir de ça ! » Il a en main une carte électronique qui ne ressemble en rien aux clefs des vieux camions que nous avions l’habitude de conduire. De plus, il est extrêmement inquiet. Il n’a quasiment jamais conduit d’autres véhicules que des 3,5 T et pas pris le volant depuis presque huit ans. Enfin, à mon soulagement, il arrive avec la voiture près des chariots de bagages et c’est là que nous constatons qu’il manque un sac cabine, celui qui contient tous ses vêtements. Il n’a sur le dos que sa liquette. Je le laisse donc se débrouiller tout seul pour charger les vélos qui, à première vue, ne rentrent pas dans une Clio même break, et repars dans cette aérogare déserte ou presque à la recherche de ce sac que nous avons, c’est à peu près certain, laissé au sol quand nous avons récupéré les vélos. A deux agents de la sécurité, repérables à leurs gilets jaunes, qui baguenaudent dans le hall, je décris mon problème. Oui. Ce bagage a été retrouvé abandonné. Il y a eu    évacuation, inspection par les chiens, etc. Il faut que j’aille au bureau de la police. La police me renvoie au bureau d’Air France ou bien sûr il n’y a personne. Une employée de l’aéroport rencontrée par hasard m’emmène au service des bagages perdus. L’homme peu aimable me renvoie vers les agents de la sécurité. « Vous les rencontrerez dans le hall où ils vont et viennent. Sinon allez à leur bureau près de la gare SNCF ». Pas d’agents dans le hall. Je commence à marcher vers la gare. C’est loin. Non, je perds mon temps. Et Dany qui m’attend. Demi-tour. Je tombe sur une patrouille de police. « Messieurs, ce n’est pas vous que je cherche mais vous pouvez peut-être m’aider ». Et je raconte encore une fois mon histoire, si contente de pouvoir m’exprimer en Français et d’être comprise. Au Pérou, je crois que j’aurais abandonné le sac. Le Brigadier-Chef me dit « suivez-moi » et me fait passer par des portes qui me sont normalement interdites. Je me retrouve à nouveau devant le gars des bagages perdus qui m’a envoyée me promener tout à l’heure. Il est prêt à m’engueuler, ça se voit, mais change de ton quand le brigadier prend la parole. Finalement c’est à un autre bureau qu’il m’emmène et le bon service est enfin contacté par téléphone. Je décris le sac et son contenu. « Venez le chercher à la porte 10 ». J’y vais. J’attends. J’attends. Rien ne vient. Au bout d’1/4 d’heure je m’aperçois que j’attends au mauvais endroit. C’est comme dans les rêves quand on tape sur les mauvais chiffres pour téléphoner, quand on attend un train sur le mauvais quai. Nervosité + fatigue = je ne maitrise plus rien. Ça fait trois nuits entièrement blanches tout de même. Enfin je suis au bon endroit et vois arriver un Daniel qui me cherchait partout, hagard, blanc, en sueur, si frêle dans sa chemise flottante. Il a l’air tellement fatigué que je me dis qu’il est incapable de conduire. Nous avons le sac ! Et nous sommes exonérés des 750 € d’amende pour abandon de bagage.

Entre temps Franck est venu nous apporter devant chez Hertz les clefs de Cabourg et des sandwichs. Il y a ajouté des masques et des autorisations de sorties imprimées. Il nous programme également le GPS de la voiture pour l’adresse de notre logis du soir. Aujourd’hui Franck est une vraie mère pour nous.

Il est 19 h, en route. Nous n’avons qu’une quinzaine de kilomètres à faire, ce qui est largement suffisant pour cette fin de journée. Mariette et Antoine – décidément l’aide ne vient pas forcément des amis de longue date -  ont contacté une cousine qui a un gite à la ferme non loin de Roissy. Il est bien évidement fermé en cette période de confinement mais elle nous le met à disposition gratuitement. Cette femme qui ne nous connait pas nous accueille avec le sourire -« Bienvenue »- en précisant que nous devons garder nos distances, et ouvre la porte d’une belle maison toute meublée, entourée d’arbres. Des pâquerettes parsèment la pelouse. Devant la porte un noyer géant met ses toutes petites feuilles encore collantes. Nous avions oublié que c’était le printemps en France. Et ressurgit cette honte que je trimballe depuis plus de dix ans d’avoir refusé l’hospitalité. Fatiguée ce jour-là, j’avais dit  non. J’en porte le remords depuis toutes ces années et je voudrais tant demander pardon. Ne sachant pas ce que nous aurons à manger demain sur la route à vélo nous gardons les sandwichs de Franck et nous contentons d’une soupe de nouilles. Entre temps j’ai pu trouver, grâce aux numéros de téléphone procurés par Corrine, une chambre pour le lendemain près de Pont-Audemer. 72 km à faire à vélo tout de même. Ça va être dur. Insomnie.

 

Cabourg – Samedi 11 avril 2020 – J27

 

Nous prenons la route dès le jour levé. Il est 7 h du matin. Heureusement il n’y a personne et le GPS nous aide bien pour rejoindre l’autoroute et trouver le relais Hertz à Rouen. Pendant le trajet je reçois un coup de fil de l’hôtelière chez qui nous devons loger le soir. Son mari n’est pas d’accord pour nous recevoir. « Nous avons peur du virus». Je pleure.

Chez Hertz, avant de décharger et rendre les clefs de la voiture, nous demandons au jeune qui nous reçoit si vraiment il n’y a pas une agence plus près de Cabourg pour rendre la voiture. Il cherche, donne un coup de fil et c’est trouvé. A Tourgeville, à 20 km de Cabourg ! Mais pourquoi ce relais n’a-t-il pas été trouvé par ceux de Roissy ? Pourquoi le gars n’a-t-il pas pris la peine de chercher ? Nous voilà soulagés.

Peu avant midi nous sommes accueillis par une femme souriante et très serviable à la station Totale de Tourgeville. Au moment de payer la somme indiquée sur le contrat (350 € !) elle nous dit : « dites donc ils vous ont arrangés à Roissy ! Ils ont compté le retour de la voiture alors qu’il n’en ont pas le droit en cette période exceptionnelle et ne vous ont pas déduit les 25% de remise prévus ». Le prix de la location tombe à 200 €. On décharge. On déballe et remet en état de marche les vélos. Il est temps enfin de manger les provisions apportées par Franck. Mais pas grand-chose ne passe. Et en début d’après-midi nous montons en selle – si on peut dire cela sur un vélo couché -, sachant qu’une sacrée côte nous attend. Et la côte, nous l’attendrons jusqu’au bout sans jamais la voir. Nous avons inscrit sur des cartons à l’arrière de notre paquetage : « Rapatriés du Pérou. Nous rentrons chez nous » afin de ne pas être embêtés par des quidams aigris, sachant qu’il est interdit de se déplacer à vélo sur de longues distances. Pas de contrôle de police sur la route non plus, sauf à 500 mètres de notre point de chute. Mais, sympas les flics, après avoir entendu notre histoire, ils nous souhaitent un bon retour « chez nous ».

 

18h. Les vélos sont sur la terrasse. Les sacoches dans une chambre. Nous sommes allés faire quelques courses. La porte-fenêtre est ouverte sur la terrasse. Le merle chante. C’est la paix. Et là, c’est Dany qui flanche et se met à pleurer de fatigue.

Ouf ! Confort à Cabourg

 

Nous sommes maintenant comme des coqs en pâte, en quarantaine stricte. Interdiction de sortir de l’appartement jusqu’au 25 avril inclu. Comme des petits vieux nous donnons notre liste de courses à quelqu’un de la mairie. Heureusement nous avons une terrasse plein Sud et le soleil est généreux.

 

 

Ainsi s’achève notre voyage. Y en aura-t-il d’autres ?...